jeudi 25 avril 2024

Le client qui ne voulait pas quitter « son » hôtel…

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Victor Ginsburgh                         

Ceci n’est pas un poisson d’avril, mais la traduction française raccourcie d’un très long et très drôle article daté du 24 mars dernier écrit par Matthew Haag, reporter au New York Times (*). Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas effrayés devant la longueur des débats et sont prêts à s’arracher les cheveux, le texte complet en anglais peut être lu à l’adresse suivante :


https://www.nytimes.com/2024/03/24/nyregion/mickey-barreto-housing-fraud.html


Un après-midi de juin 2018, un homme nommé Mickey Barreto s’enregistre à l'hôtel NewYorker (**) pour un séjour d'une nuit. Il paie 200,57 dollars pour la chambre. Il faut savoir que construit en 1930, le New Yorker est non seulement le plus grand hôtel de Manhattan, mais aussi le deuxième plus grand au monde.

Façade de l’hôtel New Yorker

Le lendemain matin, il ne quitte pas sa chambre et fait de l'ancien grand hôtel sa résidence à temps plein pendant les cinq années suivantes, sans jamais payer un dollar de plus.  

L’histoire de la façon dont Barreto a gagné puis perdu les droits de la chambre no. 2.565 peut sembler invraisemblable, mais elle est vraie. 

Voici, basé sur les règles particulières des hôtels de New York, ce qui s’est passé et a conduit l’hôtel à un calvaire de plusieurs années.

Adoptée en 1969, une loi a créé un système de réglementation des loyers dans toute la ville. Selon cette loi, le client d’un hôtel peut devenir résident permanent en demandant un bail à un tarif réduit.  

Selon des documents judiciaires, Barreto aurait quitté sa chambre le lendemain matin, et salué un employé de l'hôtel à qui il aurait remis une lettre adressée au gérant : il voulait un bail de six mois. Ce qui lui est refusé. 

Barreto se rend au tribunal du logement de New York et poursuit l'hôtel. Dans un premier temps, le juge statue en faveur de Barreto selon quoi son expulsion serait illégale. 

Barreto retourne dans la chambre 2.565 quelques jours plus tard, en tant que résident. Le terme « possession » est mentionné en sa faveur dans le document juridique. Barreto a en fait reçu un « jugement définitif de possession ». 

Avec l'ordonnance du juge en main, Barreto se rend dans les bureaux du département des finances de Manhattan pour mettre la chambre 2.565 à son nom, comme le ferait un nouveau propriétaire. 

Entretemps, les propriétaires de l'hôtel intentent leur propre action en justice pour expulser Barreto, affirmant que l'hôtel était exempté de la disposition hôtelière de la loi sur le logement. Barreto dépose une demande d'acte qui est acceptée.

Dans l'après-midi du 17 mai 2019, près d'un an après sa réservation d’une nuit, Barreto est identifié dans les dossiers comme le propriétaire de l'hôtel, un bâtiment de 1,2 millions de pieds carrés (environ 110.000 mètres carrés). Barreto envoie une note de service à la M&T Bank (dont l'hôtel est un client) et demande que tous les comptes soient ouverts à son nom.  

A la suite de pas mal de palabres entre Barreto, l’hôtel, la banque et bien d’autres intervenants, le « véritable » propriétaire de l'hôtel obtient enfin gain de cause. Un juge statue en faveur de l'hôtel et Baretto est expulsé de sa chambre. 

Alors même que cette affaire d'expulsion suit néanmoins son cours devant le tribunal du logement, Barreto ne cesse pas de se présenter en tant que propriétaire. En septembre, il présente un autre acte attestant que l'hôtel a été transféré à son nom et que la ville de New York a accepté la transaction.

Une grande partie de l'histoire de Barreto est corroborée par des dizaines de kilos de dossiers judiciaires, mais après quelques années de palabres, Baretto est définitivement expulsé de sa chambre (et de la propriété de son hôtel). Il est arrêté et traduit en justice devant un tribunal de Manhattan pour 24 chefs d'accusation – dont 14 chefs de fraude criminelle – dans ce que les procureurs ont déclaré être un stratagème criminel visant à revendiquer la propriété de l'hôtel. Le transfert a fini par faire perdre à l'hôtel quelque 2,9 millions de dollars de sa facture d'impôt foncier. 

Barreto attend maintenant son procès devant la Cour suprême de l'État de New York et risque quelques années de prison s'il est reconnu coupable.

Voici, en attendant les résultats du procès, une photographie du modeste hôtel qui avait coûté $ 200,57 à Monsieur Barreto.

L’hôtel New Yorker


(*) Matthew Haag a interviewé Mickey Barreto pendant une demi-douzaine d’heures et a passé une nuit au New Yorker Hotel.

(**) Les détails de l’hôtel peuvent être trouvés sur https://en.wikipedia.org/wiki/Wyndham_New_Yorker_Hotel#:~:text=The%20hotel%20building%20is%20owned,operated%20by%20Wyndham%20Hotels%20%26%20Resorts. Plusieurs pages et 219 notes de bas de page sont étonnantes à lire. Cherchez si le nom de Barreto figure dans une ou plusieurs de ces notes.

 


jeudi 18 avril 2024

Cobaye malgré soi..

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Pierre Pestieau


Dans les sciences sociales comme dans les sciences médicales, il est d’usage de tester l’efficacité d’un médicament, d’un vaccin ou d’une politique publique en comparant deux groupes dans la population. Le premier groupe bénéficie d’un traitement, qui peut être la prise d’un médicament ou l’introduction d’une nouvelle approche éducative, alors que le second ne bénéficie pas de ce traitement. On parle ainsi de groupe traité et de groupe de contrôle. Il est indispensable que ces deux groupes aient les mêmes caractéristiques et ne se distinguent que par le recours ou non à ce traitement.

En comparant l’impact du traitement entre les deux groupes, on peut évaluer son efficacité. Si en moyenne le niveau de connaissance ou la qualité de la santé s’avère meilleur dans le groupe traité que dans le groupe contrôle, on dira que le traitement est efficace et que, de ce fait, il peut être appliqué ailleurs.

Mon problème avec cette approche est qu’en général on ne choisit pas le groupe auquel on appartient. Or, chacun aimerait pouvoir le choisir en fonction de ses informations, de sa préférence pour le risque et de diverses autres caractéristiques. Dans le cas le plus probable, on l’espère, où le traitement réussit, tous ceux qui appartiennent au groupe de contrôle se sentiront légitimement frustrés. Dans le cas, où le traitement est un échec, ce sont les membres du groupe traité qui auraient tout lieu de se sentir lésés.


On notera que les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît dans la mesure où nous sommes dans un monde d’incertitude. Même si un traitement est en moyenne une réussite, il y aura des gens traités pour lesquels il ne marchera pas : des personnes vaccinées seront malades ou des élèves ayant bénéficié d’une pédagogie innovante échoueront. 

On pourrait me retorquer que sans ces expériences dites contrôlées on freinerait le progrès. Il existe beaucoup de cas où les gens acceptent sciemment de jouer les cobayes. On pense notamment au malade du cancer qui accepte de recevoir un traitement qui est encore au stade expérimental. Ou encore aux pilotes d’essai qui testent la fiabilité de nouveaux avions supersoniques. Dans les expériences contrôlées pharmaceutiques, les participants doivent donner leur accord, ce qui n’est pas le cas des souris qui les ont précédés dans la mise au point du traitement. Il demeure qu’ex post, si le traitement marche, le groupe traité sera mieux loti que le groupe de contrôle, ce qui peut être ressenti comme injuste. Une solution serait de permettre aux individus de choisir d’appartenir au groupe traité ou au groupe de contrôle en leur expliquant les enjeux et les risques de l’expérience.

On remarquera que le problème ne se pose pas dans le cas d’expériences naturelles dans lesquelles l'assignation aléatoire au traitement est provoquée par des causes naturelles et/ou politiques. On oppose ainsi les expériences naturelles aux expériences contrôlées. Dans celles-ci, l'assignation au traitement est aléatoirement déterminée pour les besoins de l'étude (1).


Il existe des expériences sauvages dont l’impact est bien plus sérieux que celui des expériences contrôlées. J’entends par là des mises sur le marché de médicaments dont les effets désastreux ne se révèleront que lorsqu’il est trop tard. Les exemples ne manquent pas. On pense notamment aux scandales du softenon ou du médiator. Dans ces cas-là, il a fallu des morts ou des handicaps lourds pour se rendre compte de la nocivité du traitement. Comme on le sait les victimes de ces imprudences criminelles sont rarement indemnisées et si elles le sont, c’est généralement insuffisant au vu de la perte encourue.





(1). Que les expériences soient naturelles ou contrôlées, elles sont évaluées en recourant à la méthode des doubles différences (ou diff-in-diff). C’est là une méthode statistique consistant à comparer la différence entre le groupe de contrôle et le groupe traité avant et après l'introduction du traitement. Cette méthode est notamment utilisée dans l’évaluation des politiques publiques ou des médicaments nouveaux.