jeudi 11 avril 2024

Existe-t-il encore des visiteurs dans les musées de Gaza, des blessés dans les hôpitaux de Gaza ? La ville de Gaza elle-même existe-t-elle encore ?

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Victor Ginsburgh

Intérieur dans un Musée de Gaza

Ce musée d’art semble survivre, comme survivent les quelques palestiniens qui le visitent encore. Sur un grand mur, plus de cent artistes gazaouis ont exposé leurs œuvres tristes aux visiteurs tout aussi tristes. Au sol, de vrais débris, ou peut-être une œuvre qui représente des débris autour desquels les « visiteurs » peuvent se promener, comme si la ville détruite n’y ressemblait pas.

Sur le mur bleu qui fait penser au ciel et à la mer de Gaza, des tableaux qui évoquent la vie, mais aussi la mort. On y voit des cactus, des instruments de musique, des chats, des vaches, et même une femme-chat, un personnage de fiction de l’univers Batman. Tout cela pendant qu’un drone israélien “vole” au-dessus des œuvres et de leurs visiteurs, pour être sûr que ces derniers soient bien surveillés, voire éliminés (1).

Le 15 mars dernier, j’ai essayé de voir plus que ce qui figure sur la photographie de l’intérieur du musée. Inutile de dire que je n’ai pas pu y avoir accès. Il n’y a pas que des gazaouis qui meurent, mais aussi leurs œuvres et sans aucun doute les murs de leur musée.

Un des musées de Gaza

Et voici un autre type de destruction. Cette fois-ci il s’agit du plus grand hôpital de Gaza (Al-Shifa). Un peu plus compliqué, puisque les pauvres soldats israéliens ont été obligés d’y mettre deux semaines…

Ce qui reste après deux semaines du plus grand hôpital de Gaza

Par ailleurs, si l’on peut dire, “le chef du renseignement militaire israélien a déclaré que des jours complexes les attendent et qu’il n'est pas certain que le pire soit derrière eux dans la guerre, sans préciser s'il parlait de Gaza ou de la frontière israélo-libanaise” (2). Pauvre Netanyahou qui doit penser à tout… Heureusement il y a pensé. Voici comme toujours, dans la soie :

"Les étages du service de chirurgie ont été laissés ouverts au vent, les murs ont été soufflés et l'équipement enseveli sous des monticules de débris. Le pont reliant les deux bâtiments n'est plus là, et l'esplanade qui les séparait - autrefois une allée circulaire s'enroulant autour d'un belvédère - a été transformée par des véhicules blindés israéliens en un terrain vague d'arbres déracinés, de voitures renversées et d'une ambulance à moitié écrasée" (3).

La Ville Détruite me fait penser à l’œuvre que l’artiste franco-russe Ossip Zadkine (1890-1967) avait consacré à la ville de Rotterdam dont le centre médiéval avait été détruit par le bombardement allemand du 14 mai 1940.

La Ville Détruite

Où est l’artiste (juif, comme Zadkine) qui aura le courage d’en faire de même quand Gaza n’existera plus?






(1). Simon Pierre, Mosquées, églises, musées... Le patrimoine culturel de Gaza ravagé par le conflit israélo-palestinien, 29 décembre 2023 et Caitlin Procter, Israel is systematically destroying Gaza’s cultural heritage, March 3, 2024.

(2). Emanuel Fabian, Le chef des renseignements aux soldats : Israël est confronté à ‘des jours complexes’, il n’est pas certain que le pire soit derrière nous, The Times of Israel, 4 avril 2024.

(3). Patrick Kinglsey, Israeli army withdraws from major Gaza hospital, leaving behind a wasteland, The New York Times, April 2, 2024.

jeudi 4 avril 2024

Responsabilité et mérite

1 commentaire:

Pierre Pestieau

Quand on parle de politique d’aide à la dépendance, on fait souvent la distinction entre le préventif et le curatif. Dans le meilleur des mondes, dans lequel chacun adopterait un style de vie irréprochable (alimentation saine, ni tabac, ni alcool, activité physique régulière), l’espérance de vie et surtout l’espérance de vie en bonne santé augmenteraient. Certaines des causes majeures de la perte d’autonomie verraient leur importance se réduire ; elles ne disparaitraient pas. Il y aurait moins de maladies chroniques; les différentes formes de démence subsisteraient et pourraient même augmenter du fait d’une longévité accrue. Les personnes dépendantes le seraient non pas de leur faute mais par pure malchance. Dans ce monde peuplé de gens méritants et responsables, la mantra du « y-avait pas qu’a » perdrait de sa pertinence et le support politique à toute aide à la dépendance augmenterait nettement. Le préventif jouerait à fond et le curatif serait moins utile. Plus concrètement, l’État ferait des économies et la population vivrait ainsi plus longtemps et en meilleure santé.


Serait-elle plus heureuse ? En posant cette question, j’ai à l’esprit l’anecdote suivante. Un homme d’une soixantaine d’années se rend chez son médecin et lui demande la recette pour vivre encore de nombreuses années. Le médecin lui demande : Fumez-vous ? Buvez-vous ? Voyez-vous encore des femmes de petite vertu ? A ces trois questions, le patient répond fièrement par la négative. Et son médecin de lui répondre : Pourquoi voulez-vous vivre aussi longtemps ?

Si l’État avait les moyens de forcer les individus à la vie austère qui leur assure une vie longue sans trop d’incapacités, devrait-il le faire ? Prenons l’exemple du tabagisme. Il y aurait deux raisons pour interdire à une personne de fumer. D’abord, elle ignore les risques multiples que cela entraine pour sa santé et celles de ses proches. Après coup, elle sera reconnaissante que l’on lui ait interdit de fumer. Ensuite, il y a les coûts financiers que le tabagisme implique pour les finances publiques. Il existe une autre dimension, celle de la liberté. Une personne peut très bien continuer de fumer tout en connaissant les effets que sa décision aura sur sa santé. Elle assume ainsi en toute conscience sa liberté de choix. C’est la conception existentialiste qu’illustre parfaitement Albert Camus quand il écrit : “Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide.”