jeudi 3 novembre 2022

Justice sociale et redistribution

Pierre Pestieau

Dans une récente étude publiée dans la revue Comparative Political Studies (1), deux politologues américains ont analysé l’évolution des inégalités économiques et des impôts prélevés sur les riches au cours du siècle dernier dans 17 pays, dont les États-Unis, le Canada, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et une douzaine de démocraties européennes. Ils ont constaté qu'à quelques exceptions près, l'augmentation des inégalités n'a pas entraîné une demande de politiques fiscales plus progressives.

Comment expliquer cette surprenante passivité face à la croissance des disparités des revenus et du patrimoine? Selon ces auteurs, cela viendrait de la manière dont les électeurs conçoivent la justice sociale. Il apparaîtrait que pour une majorité d’entre eux, l’État devrait traiter tous les citoyens de manière égale, indépendamment de leur situation économique plus ou moins avantageuse. Ces conclusions sont basées sur des études expérimentales menées aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne.


Cette norme d’égalité de traitement pourrait expliquer pourquoi, dans la plupart des pays, la taxation des revenus est dans les faits plus proportionnelle que progressive. Les avantages fiscaux divers dont bénéficient les plus riches annihilent la progressivité théorique des taux. 

De ce fait, la fiscalité ne réduit pas les inégalités. Le principal vecteur de redistribution est l’ensemble des transferts en nature. Les ménages accèdent en effet massivement à des services publics gratuits ou facturés à des prix nettement plus faibles que celui du marché, comme la santé, l’éducation ou l’action sociale. En outre, ils bénéficient aussi de transferts monétaires affectés à une dépense particulière comme les allocations logement. Le système de santé, notamment, génère une redistribution importante par rapport à une situation où chacun devrait prendre directement à sa charge sa propre santé et où les cotisations ne seraient pas proportionnelles aux revenus. Car toute chose égale par ailleurs, les problèmes de santé se concentrent davantage dans les catégories des populations les moins aisées qui bénéficient donc davantage du système public de soins.

Cette redistribution par les transferts en nature est compatible avec la norme d’égalité de traitement. Tout le monde a formellement accès à ces différents services et tout particulièrement à l’assurance santé et à l’éducation publique. On aurait ainsi une explication de la pérennité d’un système où les transferts en nature et non la fiscalité assurent l’essentiel de la redistribution. Faut-il s’y résoudre ?

Pas vraiment. D’une part, dans de nombreux pays, les transferts en nature évoluent dans un sens moins universel et donc moins redistributif. D’autre part, il n’est pas acceptable qu’à une époque, où les disparités de revenus et surtout de richesse atteignent des sommets, la fiscalité ne puisse pas être plus progressive.


(1) Kenneth Scheve et David Stasavage, Equal Treatment and the Inelasticity of Tax Policy to Rising Inequality, Comparative Political Studies, 2022.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire