jeudi 1 décembre 2022

Réussir sa sortie

Pierre Pestieau

Il y a quelques semaines, j’ai publié un livre intitulé : Vivre heureux longtemps (1). La perte récente de deux êtres chers m’a fait comprendre que j’aurais dû y ajouter un chapitre sur la fin de vie ou, plus précisément, sur la possibilité d’assurer dignement sa sortie. Les enquêtes le montrent. A 70 ans, la majorité des gens se déclarent heureux. Ils ne se sont jamais sentis aussi heureux. Ce qui pose problème est la fin de vie. Comme le graphique ci-dessous le montre éloquemment, après un sommet de bonheur vient la chute qui peut être plus ou moins longue et plus ou moins douloureuse.


Pour certains, frappés par un accident de la route ou une attaque cardiovasculaire, la fin de vie est rapide et il n’y a pas de problème. Pour beaucoup, elle peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Disons-le d’emblée, le problème n’est pas financier. Même si l’on sait que ce sont les derniers mois de la vie qui sont les plus coûteux pour notre système de santé, nous avons les moyens budgétaires de les couvrir. L’enjeu est de parvenir à partir dans la dignité. Quelle tristesse de voir des gens qui ont eu une vie admirable, la terminer lamentablement. Sur ce point, les riches et les pauvres sont logés à la même enseigne. Les uns et les autres peuvent connaître des fins de vie pénibles. Une sorte de justice bien tardive.

Nos sociétés ne semblent pas avoir trouvé la recette qui assure à tout un chacun une fin de vie digne. Témoins les cas de maltraitances tant institutionnelles que familiales qui se multiplient avec le vieillissement. Témoins aussi les nombreux cas d’acharnement thérapeutique que très souvent la personne âgée subit et ne choisit pas. De nombreuses personnes âgées ont une fin de vie sans doute plus indigne que cette vieille femme que le fils ainé abandonnait au sommet du Narayama (2) dans une vieille légende japonaise. Quand on voit la manière dont les seniors ont été traités pendant la pandémie, on se demande où sont les valeurs que l’on invoque si facilement pour condamner ces pratiques traditionnelles.


La recherche d’une fin de vie digne est indispensable mais elle se heurte à la réalité de la souffrance qu’entraine le naufrage de la vieillesse. La question est d’aménager au mieux ce naufrage. Dans les sociétés traditionnelles, cet aménagement relevait de la coutume, comme dans la Ballade de Narayama. Dans les sociétés contemporaines, il est du ressort de l’État qui se doit de protéger les plus frêles de ses citoyens. Il doit le faire en encadrant davantage les soins apportés aux personnes âgées en institution ou au sein de la famille pour éviter la maltraitance, autant que faire se peut. Il doit aussi le faire en permettant à toute personne de mettre fin à ses jours quand elle estime que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Sur ces deux points, on est loin du compte. L’encadrement des personnes en fin de vie laisse à désirer et même en Belgique pourtant jugée comme exemplaire en la matière, l’euthanasie peut se heurter à des obstacles administratifs et à des réticences du corps médical dont on pourrait se passer.

La famille joue aussi un rôle prépondérant. Elle peut apporter un réconfort bien nécessaire en ces moments difficiles. Tout le monde ne peut pas compter sur une famille aimante. Certains se trouvent terriblement isolés en fin de vie. 

Mais, il faut cependant être réaliste. Même si l’État réussissait la gageure d’améliorer la qualité des soins donnés aux personnes fragiles grâce à un personnel aidant plus qualifié, mieux payé et plus nombreux, même si l’euthanasie était rendue moins rébarbative, même si l’on est entouré d’une famille affectueuse, on ne pourra pas toujours éviter ces situations où quelqu’un a pu avoir une vie belle et longue, qui se termine par une triste fin.



(1). Pierre Pestieau et Xavier Flawinne, Vivre heureux longtemps, Paris : PUF, 2022.
(2). Voir mon blog du 27 janvier 2022 : Narayama, un vaisseau spatial.

2 commentaires:

  1. Il y a une perche tendue avec la publication racoleuse d'Elsa Walter. À vous je peux le dire !
    😅

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  2. Il serait vraiment très intéressant d'avoir une représentation de la courbe du bonheur à différentes époques.
    Son profil après 55 ans semble une conséquence directe de l'existence des systèmes de retraite, y compris des pré-retraites.

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