Guerre commerciale, inflation et mid terms : Joe Biden face au dilemme chinois<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Joe Biden s'exprime lors d'une visite au siège de la Central Intelligence Agency (CIA) pour féliciter l'agence et son personnel à l'occasion du 75e anniversaire de sa fondation à Langley, en Virginie, le 8 juillet 2022.
Joe Biden s'exprime lors d'une visite au siège de la Central Intelligence Agency (CIA) pour féliciter l'agence et son personnel à l'occasion du 75e anniversaire de sa fondation à Langley, en Virginie, le 8 juillet 2022.
©SAMUEL CORUM / AFP

L'heure des choix

La Maison Blanche voudrait à la fois prendre des mesures visant à réduire l'inflation tout en affichant la même fermeté que Trump envers la Chine en vue des élections qui se profilent

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

Voir la bio »
Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

Voir la bio »

Atlantico : Aux États-Unis, face à l’inflation qui risque de s’enraciner, Joe Biden pourrait bientôt alléger les droits de douane sur les importations chinoises. Une décision qui pourrait créer de forts désaccords politiques tant au sein de son administration que de l’opposition. En quoi cette décision est-elle controversée ?  

Jean-Marc Siroën : A priori, en abaissant les droits de douane sur certaines importations en provenance de Chine, notamment sur les biens de consommation, le prix des biens concernés devrait lui aussi baisser. Néanmoins, l’ampleur de cette baisse est loin d’être mécanique. Il faut encore que les exportateurs chinois et/ou les importateurs ne « récupèrent » pas le droit de douane en maintenant leurs prix sur le marché américain. Mais à l’opposé, si la diminution des droits de douane est, comme espéré, répercutée sur les prix, la concurrence des produits chinois sera plus forte ce qui pourrait inciter les fournisseurs américains à réduire leur marge et donc leurs prix. L’effet contre-inflationniste de la mesure serait alors amplifié. Quoi qu’il en soit, l’effet sur l’inflation sera limité : entre 0,25 et 1 point d’inflation, sachant qu’aujourd’hui la hausse de l’indice des prix à la consommation, frôle les 9 % annuels.

La secrétaire au Trésor, Janet Yellen appuie cette mesure et la représentante au commerce, Katherine Tai s’y oppose. Elles sont chacune dans leur rôle : veiller à la stabilité de l’économie pour la première qui a par ailleurs peu de leviers pour lutter contre l’inflation (c’est le rôle du Fed, la banque centrale) et pour la seconde, défendre les intérêts commerciaux des Etats-Unis. C’est aussi le reflet d’intérêts contradictoires : dans la perspective des élections à mi-mandat, où le Président risque de perdre sa courte majorité au Sénat, vaut-il mieux afficher sa volonté de lutter contre l’inflation ou, au contraire, choyer les syndicats et les employés de l’industrie opposés à tout allègement des droits de douane ?

Barthélémy Courmont : Cette décision, si elle se confirme, prend place dans un contexte politique très tendu aux Etats-Unis, à quelques mois des élections mi-mandat qui pourraient marquer une victoire des Républicains dans les deux chambres du Congrès. La hausse du prix du carburant est ainsi au coeur de nombreuses contestations, issues notamment des deux hommes les plus riches du monde, Eon Musk et Jeff Bezos, qui s'en sont pris vivement à l'Administration Biden et au président américain lui-même. Joe Biden souffre d'un soutien populaire très faible qui confirme qu'il a échoué dans son pari de réconcilier les Américaisn après la présidence clivante de son prédecesseur. 

L'allègement des droits de douane sur des importations chinoises est en soi une mesure sage, car elle aura un impact immédiat sur l'inflation très forte dont souffrent aujourd'hui les Etats-Unis. Mais c'est une décision très critiquée par les adversaires politiques de Biden, quand on se souvient que ces droits de douane avaient été augmentés sous la présidence de Donald Trump. On voit ainsi se dessiner deux méthodes opposées dans la relation avec la Chine - qui serait évidemment le grand bénéficiaire de ces baisses de droits douaniers - entre Républicains et Démocrates, autant que l'on voit les difficultés de l'Administration en place à contenir l'inflation.

Les États-Unis ont-ils vraiment besoin de maintenir des frais de douane élevés pour maintenir une pression contre Pékin ? Dans quelle mesure des frais de douane élevés pèsent sur l’inflation, et donc le pouvoir d’achat des ménages ?

Barthélémy Courmont : Les droits de douane élevés avaient pour objectif, dans l'esprit de Donald Trump, de contraindre la Chine à accepter une nouvelle relation commerciale, marquée notamment par un rééquilibrage de la balance commerciale, actuellement très fortement à l'avantage de Pékin. Ces mesures n'ont pas été conformes aux objectifs fixés, puisque cette balance commerciale a continué de se creuser en faveur de la Chine. Mais dans le même temps, elles ont contribué à la mise en place d'un dialogue entre les deux pays autour de ces questions, dialogue qui a quelque peu disparu depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden et l'accent mis sur les questions stratégiques. Les Etats-Unis ont-ils besoin de ces frais de douane élevés? Sans doute dans la situation actuelle, tant la dépendance aux importations chinoises est grande. Mais comme ces mesure s'avèrent insuffisantes, et que les "guerres commerciales" ont été perdues depuis deux décennies, on peut également considérer que les "guerres commerciales" ont été perdues depuis deux décennies, et par conséquent que cette décision est inutile. Le problème du choix de Joe Biden tient en deux points. D'une part, il contredit les choix de son prédecesseur et offre ainsi le spectacle d'un pays profondément divisé sur tous les sujets. D'autre part, il montre les faiblesses de Washington face à Pékin, qui peut se frotter les mains de ne même pas avoir à négocier à la baisse des droits de douane, qui plus est à un moment où l'économie chinoise en a besoin.

Jean-Marc Siroën : C’est une politique traditionnelle des Etats-Unis que de recourir aux droits de douane non seulement pour protéger leur industrie mais aussi pour forcer l’ouverture des marchés étrangers. Avec l’administration Trump, cette politique a été amplifiée contre tous, même contre les pays alliés, mais surtout contre la Chine. Cette fois, les raisons ne sont pas seulement commerciales mais aussi géopolitiques et géoéconomiques.

Le but de ces politiques n’est pas de favoriser les consommateurs, mais de protéger les producteurs (et, le cas échéant, d’accroître les recettes de l’État). La perte des premiers, qui prend la forme d’une hausse des prix directe pour les biens de consommation et plus indirecte pour les matières premières et les biens intermédiaires (comme les composants électroniques). Ce choix est assumé sinon affiché. Donc oui, bien sûr, le droit de douane provoque la hausse des prix, comme le ferait, par exemple, la hausse de la TVA. Notons que lorsque le Président Trump a pris ces mesures, l’inflation tournait autour de 2 %. De plus l’effet est « one shot » : une fois acquise la hausse des prix, elle ne se renouvelle pas. A contrario, leur remise en cause pourrait certes contenir légèrement l’indice des prix pendant quelques mois mais la dynamique de l’inflation ne serait pas pour autant cassée. C’est une mesure qui peut défendre le pouvoir d’achat mais certainement pas lutter contre l’inflation.

Est-il possible de trouver un équilibre entre guerre commerciale et protection des consommateurs ? Biden peut-il le trouver sans faire table rase de la politique Trump ? 

Jean-Marc Siroën : Le Président Biden doit certes protéger le pouvoir d’achat des consommateurs, mais aussi des salariés touchés par la concurrence chinoise, même si l’ouvrier sidérurgique est aussi un consommateur. Et ils sont tous appelés à voter dans quelques mois.

Biden n’a pas changé grand-chose à la politique protectionniste du Président Trump, notamment vis-à-vis de la Chine considérée comme une menaçante puissance rivale, économiquement, diplomatiquement et militairement, d’autant plus qu’elle s’est rapprochée de la Russie.

Le Président est donc manifestement à la recherche d’un équilibre et pourrait le trouver. Comment ? En remettant en cause les tarifs « Trump » sur certains biens de consommation notamment dans les secteurs où les producteurs américains sont rarissimes (vêtements par exemple) mais en les maintenant, voire en les durcissant, dans des secteurs plus stratégiques et qui impactent moins directement les prix à la consommation comme l’équipement industriel où certains matériels de transport. Il pourrait ainsi imposer de nouvelles sanctions via l’« arme fatale » de l’administration américaine, la section 301 qui vise les pratiques déloyales des pays partenaires.

Barthélémy Courmont : Ce serait une bonne chose en tout cas. Traditionnellement, Démocrates et Républicains sont capables d'harmoniser leurs efforts, en particulier en matière de politique étrangère et économique, et le Congrès en est le symbole, avec des initiatives bipartisanes. Joe Biden, qui fut sénateur pendant des décennies et président de la commission des affaires internationales, avant d'entrer dans l'Exécutif en 2009 avec Barack Obama, le sait mieux que quiconque, et il a d'ailleurs lui-même contribué à de multiples initiatives biparisanes. Mais cette tradition se conjugue aujourd'hui au passé. Le Congrès est devenu le haut-lieu des divisions entre Démocrates et Républicains, et la politique étrangère est un théâtre d'affrontements partisans. Depuis trois décennies, nous assistons à une alternance entre Républicains et Démocrates (les deux derniers présidents élus du même parti sont Ronald Reagan et George H. Bush), ce qui est a priori la marque d'une démocratie en bonne santé, mais la réalité est toute autre. Depuis plus d'une décennie, chaque présidnet s'évertue à déconstruire le travail de son prédecesseur. Obama fut ainsi une sorte d'anti-Bush, Trump a fait de la déconstruction du travail d'Obama une obsession, et Biden ne fait pas les choses autrement. Bref, le dialogue est totalement rompu, et les deux grands partis sont incapables non seulement de travailler ensemble, mais aussi de reconnaître leurs mérites réciproques, se contentant de se renvoyer à leurs responsabilités. C'est une démocratie malade à laquelle nous assistons, et les remèdes promis par Joe Biden ne se sont jamais confirmés. Ainsi, malgré le fait qu'un compromis serait à la fois nécessaire et bienvenu, il ne faut pas espérer autre chose qu'une tentative de faire table rase de la politique du président précédent, avec comme conséquence des divisions internes encore plus profondes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !