Un avion commercial de la compagnie aérienne allemande Lufthansa laisse une traînée de condensation dans le ciel, le 3 avril 2017, au-dessus de la station des Alpes suisses de Verbier

Certains spécialistes comme Jean-Marc Jancovici évoquent déjà un quota de quatre voyages en avion par personne pour toute la vie.

afp.com/Fabrice COFFRINI

Faudra-t-il, à l’avenir, rationner le carburant, les voyages en avion ou la viande afin de réduire suffisamment nos émissions de CO2 ? Cette question épineuse fait l’objet d’une étude récente, parue dans la revue Ethics, Policy & Environment. Ses auteurs, des chercheurs de l’Université de Leeds (Royaume-Uni), reconnaissent qu’aborder le sujet n’est pas simple. "Pour reprendre les mots de Raj Patel - un économiste américain d’origine britannique - le rationnement est un sujet de conversation à peu près aussi acceptable que les hémorroïdes. Cependant, nous soutenons qu’il pourrait vraisemblablement jouer un rôle important et devenir un moyen efficace et équitable de réduire nos émissions", expliquent-ils en guise de préambule.

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A condition bien sûr d’en définir les modalités. Certaines formes de rationnement font déjà l’objet de débats ou de mesures sur le terrain. Plusieurs destinations touristiques, comme Maya Bay en Thaïlande, limitent déjà le nombre de touristes ou leur interdisent parfois tout accès afin d’éviter une dégradation excessive de l’environnement. Et certains spécialistes de notre empreinte carbone, comme Jean-Marc Jancovici, évoquent déjà un quota de quatre voyages en avion par personne pour toute la vie.

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Les auteurs britanniques eux, se penchent sur une forme stricte de rationnement inspirée de la Seconde Guerre mondiale. Dans le scénario qu’ils imaginent, les citoyens utiliseraient une sorte de carte bancaire permettant de contrôler les achats de carburant, de viande ou même de vêtements importés. Pour introduire une forme d’égalité dans l’effort, aucun système de crédits carbone échangeables ne serait proposé. Impossible donc de payer pour pouvoir "polluer" davantage.

Mais selon Corinne Gendron, chercheure à l'Université du Québec à Montréal et spécialiste de l’acceptabilité sociale, cette approche comporte des failles. "Certes le rationnement a fait preuve d’efficacité lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais il existe une vraie différence entre créer une rareté de toutes pièces et en subir une en temps de guerre. Il y a quatre-vingt-cinq ans, la population n’avait pas vraiment le choix. Aujourd’hui, notre société est bâtie sur l’abondance et sur l’idée que tout le monde peut plus ou moins en profiter. Dans un tel contexte, il serait extrêmement difficile d’imposer un rationnement".

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Ne pas oublier l’Etat et les entreprises

D’autant que celui-ci détournerait l’attention de certains acteurs majeurs de la transition, comme les grandes entreprises ou même l’Etat, qui subventionne encore les énergies fossiles. "Il y a quelques années, le cabinet de conseil Carbone 4 publiait une étude montrant clairement que si tous les Français adoptaient un comportement exemplaire, qu’ils changeaient de voiture et de système de chauffage, cela ne permettrait d’atteindre qu’une fraction des efforts nécessaires en matière de réduction de nos émissions. L’essentiel de la feuille de route ne peut donc pas reposer sur les individus", souligne la spécialiste.

L’exemple des voyages en avion sur le territoire français le montre : si notre pays disposait de liaisons ferroviaires extrêmement efficaces, il serait possible d’envisager de supprimer les trajets en altitude. Sauf que, pour le moment, ce réseau de remplacement n’existe pas. De même, si pour se rendre d’une ville à l’autre, un trajet prend vingt minutes en voiture et une heure et demie en train, comment blâmer les individus qui optent pour leur véhicule personnel ?

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"Je suis mal à l’aise avec cette individualisation de la responsabilité, reconnaît Corinne Gendron. La même rhétorique avait été utilisée après l’effondrement du Rana Plaza en 2013. A ce moment-là, on disait en substance aux consommateurs : c’est de votre faute. Vous voulez des t-shirts peu chers donc forcément, on ne peut pas appliquer les bonnes règles de sécurité. Or les citoyens n’ont jamais souhaité mettre la vie de personnes en danger afin d’obtenir des vêtements."

C’est pourquoi, selon elle, les mesures restrictives destinées à réduire nos émissions de CO2 doivent être employées avec précaution, tenir compte de l’avis général et du confort au quotidien. A ce titre, la Finlande a mené en 2020 une expérience intéressante. Dans la ville de Lahti, chaque habitant pouvait télécharger une application de mobilité gratuite détectant automatiquement le moyen de transport utilisé. Si l’utilisateur remplaçait la voiture par la marche ou le vélo, il gagnait une somme en monnaie virtuelle échangeable contre des tickets de bus locaux, des entrées à la piscine, des sacs…

L’épidémie de Covid, qui s’est traduite par une forte baisse des trajets urbains, empêche malheureusement d’estimer l’impact précis de cette initiative. Mais les résolutions de Lahti, bien partie pour devenir la première ville finlandaise neutre en carbone dès 2025, ont vocation à inspirer d’autres pays, y compris la France. Rappelons juste deux chiffres : selon l'Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, un Français émet chaque année un peu plus de 11 tonnes de CO2. Or il faudrait ramener ce chiffre aux alentours de 2 tonnes. Un effort qui semble pour le moment hors de portée.

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