Comment la 5G a servi de bouc émissaire à la crise du corona

. © Getty Images
Pieterjan Van Leemputten

En Grande-Bretagne, une vingtaine de pylônes d’antennes mobiles ont été incendiés la semaine dernière, probablement par des opposants à la 5G. Beaucoup d’entre eux établissent en effet un lien avec le coronavirus, même si cela n’a pas la moindre base scientifique. Fait étonnant: la campagne semble être menée de manière coordonnée et a même un lien avec la Belgique.

C’est la semaine dernière que sont tombées les premières notifications de mâts d’antennes britanniques auxquels on avait bouté le feu. Le 6 avril, le journal The Guardian signalait qu’au moins vingt pylônes avaient déjà été vandalisés. Ces attaques semblent émaner de personnes qui croient que la 5G est nocive, voire dans certains cas liée à l’actuelle propagation du covid-19.

Les théories du complot qui lient des maladies à la nouvelle technologie, ne sont pas nouvelles, mais la variante 5G fait particulièrement beaucoup d’adeptes dans le paysage actuel. Il s’agit là non seulement de personnes qui y croient dur comme fer, mais aussi de gens qui doutent, sans parler de certaines personnalités. Ce cocktail semble en outre être alimenté par une campagne de désinformation professionnelle sur les médias sociaux.

Commençons par les faits scientifiques: il n’y a aucune preuve, même lointaine, que le déploiement de la 5G est à l’origine du coronavirus ou renforce son impact. Quiconque affirme (erronément) que le virus de Wuhan s’est mis à circuler après le déploiement massif de la 5G, oublie trop facilement que des villes comme Pékin, Shanghai et Guangzhou avaient précédemment déjà (et souvent de manière plus étendue) été équipées en 5G.

Quiconque prétend aussi que le rayonnement de la 5G est dangereux (ou plus dangereux que celui de la 3G et de la 4G), a tout faux. Il y a quelques semaines, vous aviez pu le découvrir à la lecture de Datanews.be. Le fait est que le rayonnement total dans notre pays ne peut dépasser un point déterminé et ce, conjointement pour la 2G,

la 3G, la 4G et la 5G, peu importe qu’il s’agisse d’1 ou de 30 antennes.

En Belgique, aucun pylône d’antennes n’a encore été incendié, comme l’a appris Data News sur base d’un sondage réalisé auprès des opérateurs belges.

Pourquoi cela se répand-il si vite?

Il règne l’ignorance et l’angoisse, ce qui fait que certains cherchent une explication. La nouvelle et inconnue 5G représente ici un bouc émissaire de choix.

L’élucubration de lier la 5G au coronavirus prend de plus en plus d’ampleur, et cela s’explique par plusieurs facteurs. D’abord et surtout, il y a le fait que la technologie télécom et à coup sûr le rayonnement sont des matières complexes. Il en va de même pour un nouveau virus comme le covid-19. C’est malaisément explicable, mais il est plus facile de faire passer des élucubrations soi-disant basées sur des notions scientifiques.

La pandémie fait en sorte que la vie des gens est chamboulée au niveau mondial. Il règne l’ignorance et l’angoisse, ce qui fait que certains cherchent une explication. La nouvelle et inconnue 5G représente ici un bouc émissaire de choix.

Josh Smith, senior researcher de la cellule de réflexion Demos, tient les propos suivants à Wired: “L’idée que la 5G soit responsable d’une situation anxiogène, apporte un certain réconfort, mais aussi une explication et désigne un coupable tout trouvé à la pandémie qu’on connaît.” En même temps, elle propose aussi une sorte de solution: “Supprimons les pylônes, et le virus disparaîtra”, mais ce n’est pas aussi simple.

Cette combinaison de facteurs a ces dernières semaines été encore renforcée par les dires de personnalités bien connues. Selon Wired et Bloomberg, des chanteuses comme Anne-Marie, Keri Hilson, M.I.A., mais aussi des acteurs tels Woody Harrelson, John Cusack et d’autres ont tenu ces dernières semaines sur les médias sociaux des propos liant le coronavirus à la 5G.

Les célébrités atteignent davantage de personnes et donnent aux gens dans le doute un motif supplémentaire d’accepter qu’il y a peut-être quelque chose de vrai là-dedans.

La présentatrice TV britannique Amanda Holden a même tweeté une pétition contre la 5G en Grande-Bretagne, clamant haut et fort que les symptômes dus à une exposition à la 5G ressemblent fortement à ceux du coronavirus. Par après, elle affirma avoir partagé la pétition par mégarde.

L’impact de diverses personnalités qui propagent ce genre de théorie sur les médias sociaux auprès de centaines de milliers de suiveurs, ne doit pas être sous-estimé. Alors que les théoriciens du complot se limitent généralement à leur propre cercle sur les médias sociaux, les célébrités atteignent davantage de personnes et donnent aux gens dans le doute un motif supplémentaire d’accepter qu’il y a peut-être quelque chose de vrai là-dedans.

Une présentatrice belge s’est aussi récemment fâchée sur Facebook, parce que Proximus lançait la 5G et ne tenait pas compte des dangers que cela représentait. Indépendamment du fait que d’après ce qu’on sait aujourd’hui, aucun danger n’est lié à la 5G, Proximus utilise actuellement aussi la fréquence 3G pour sa technologie 5G. Le signal 5G qui provient des pylônes d’antennes, est ainsi quasiment identique à ce qu’il était il y a 15 ans.

‘Censure par le journal Het Laatste Nieuws’

Ce qui est étonnant, c’est que le complot reçoit une stimulation supplémentaire de la part d’un médecin généraliste de Putte. Suite à une protestation à petite échelle contre la 5G, Kris Van Kerckhoven fut interviewé le 22 janvier pour les pages régionales du journal flamand Het Laatste Nieuws. Il n’hésita pas à affirmer que la 5G était dangereuse et qu’elle pouvait être liée au coronavirus naissant à l’époque. Van Kerckhoven déclara cependant qu’il n’avait pas vérifié ces faits.

L’article régional parut aussi sur le site web de HLN.be. Suite à des critiques, notamment de Data News, le journal décida de le supprimer. Le rédacteur en chef Dimitri Anthonissen reconnut lui-même que l’article ne répondait aux exigences qualitatives du journal.

Het Laatste Nieuws retira l’article en question, parce qu’il contenait de véritables contre-vérités. Mais cela eut le don de jeter de l’huile sur le feu pour ceux qui y croient. Sur plusieurs sites anti-5G, cette suppression fut assimilée à de la censure. Un médecin s’exprimait et ses propos devaient donc avoir un fond de vérité. Et le fait que le médecin en question déclara qu’il n’avait pu vérifier les faits, passa plutôt inaperçu.

Désinformation professionnelle

Mais les complots proviennent parfois aussi de coins inattendus. Bloomberg a ainsi rencontré des experts qui confirment qu’une campagne de désinformation en cours ressemble fortement à la diffusion de fausses nouvelles russes lors des élections présidentielles américaines de 2016.

Il y a de très fortes présomptions que certains de ces comptes fassent partie d’une opération de désinformation.

Par souci de clarté, il n’y a aucune preuve tangible que la Russie soit à l’origine de cette campagne. Wired fait bien observer qu’une présentatrice de RT (Russia Today, la chaîne d’actualités internationales financée par le gouvernement russe) avait en janvier 2019 déjà déclaré dans une émission qu’on pouvait mourir de la 5G.

Sa référence à des recherches scientifiques n’est pas correcte, mais le fragment incriminé sur YouTube a entre-temps déjà été visionné quasiment deux millions de fois. RT a déjà aussi affirme que des enfants exposés à la 5G peuvent souffrir d’un cancer, de saignements de nez et de problèmes d’apprentissage. Tout cela n’a jamais été démontré non plus, sachez le. Il convient aussi d’apporter ici la nuance, selon laquelle RT n’a jamais lié le coronavirus à la 5G.

Mais il y a bien autre chose encore en ligne. L’agence Bloomberg a parlé de tout cela avec Marc Owen Jones, chercheur à l’université Hamad bin Khalifa au Qatar et spécialisé en réseaux de désinformation en ligne. Il a examiné 22.000 interactions récentes sur Twitter, qui mentionnent la 5G et le coronavirus, et y a observé une forte activité mensongère. Comparable à un état qui veut propager de la désinformation à grande échelle. “Il y a de très fortes présomptions que certains de ces comptes fassent partie d’une opération de désinformation”, a déclaré Jones à l’agence de presse.

Blackbird.ai de New York suit également les campagnes de désinformation en ligne et confirme voir une forte augmentation de messages postés non authentiques sur Twitter et Reddit. L’entreprise examine en l’occurrence l’usage de la langue, les modèles de communication, les habitudes en matière de postage et l’activité de bots pour identifier s’il s’agit de messages postés par des personnes ou par des robots commandés.

D’une part ceux qui y croient et de l’autre ceux qui doutent

Toute personne dans le doute doit surtout retenir qu’en des périodes chaotiques, les fausses nouvelles, même parfois dans une bonne intention, circulent rapidement.

Voici tous les facteurs pris en compte: l’arrivée de la nouvelle technologie, la peur du covid-19, la diffusion des propos de personnalités et une possible campagne de désinformation coordonnée rendent l’histoire que la 5G a quelque chose à voir avec le coronavirus plus attrayante pour les gens.

Il convient enfin de distinguer deux groupes de personnes. Le premier groupe est constitué des personnes qui doutent. Les gens se posent à juste titre des questions, sont préoccupés et surfent ainsi sur des sites web expliquant de manière très plausible qu’il y a un lien. C’est ainsi que circule une vidéo sous-titrée en français, où on entend un homme expliquer devant un auditoire comment certaines maladies ont au cours de l’histoire été de pair avec de nouvelles technologies. Sans explications scientifiques supplémentaires, cela paraît parfaitement clair. Même si tel n’est pas le cas.

L’autre groupe est généralement depuis longtemps plus sensible au raisonnement. C’est ainsi qu’après un message posté sur Facebook à propos du caractère inoffensif du rayonnement 5G, votre serviteur a reçu plus de 500 commentaires d’opposants à la 5G. Et c’est sans compter le nombre de vidéos sur YouTube et de sites web fumeux de toutes sortes. Mais chaque fois que nous expliquions pourquoi telle ou telle chose n’était pas correcte, nous avons vu apparaître cinq nouveaux liens et affirmations nous contredisant.

Le fait que ce dernier groupe soit à présent soutenu par une campagne de désinformation professionnelle, a de quoi inquiéter. Toute personne dans le doute doit surtout retenir qu’en des périodes chaotiques, les fausses nouvelles, même parfois bien intentionnées, circulent rapidement et qu’il faut souvent plus longtemps pour réfuter quelque chose de manière scientifiquement étayée que pour inventer quelque chose de nouveau.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire