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Énergie

Hulot et Macron reculent sur le nucléaire

À la sortie du conseil des ministres, le 7 novembre, Nicolas Hulot a annoncé qu’il serait « difficile de tenir le calendrier » prévu par la loi de réduire la part du nucléaire à 50 % d’ici 2025. Pour justifier ce recul, il s’est appuyé sur un scénario de RTE - dont le détail n’est pas public - et pointe un risque d’augmentation des émissions de CO2. L’argument n’est pas valable, jugent des experts et des associations.

La perspective de voir fermer des réacteurs nucléaires s’éloigne à nouveau. Mardi 7 novembre, à la sortie du conseil des ministres, Nicolas Hulot a déclaré qu’il serait « difficile de tenir le calendrier » de la loi de transition énergétique (LTE) de 2015, qui prévoit la baisse de la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique d’ici 2025 (contre 75 % aujourd’hui), objectif qu’avait confirmé Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle :

En juillet dernier, le ministre de la Transition écologique et solidaire avait estimé que cette réduction de la part du nucléaire reviendrait à fermer « peut-être jusqu’à dix-sept réacteurs ».

Pour justifier ce rétropédalage, en pleine COP23 à Bonn, Nicolas Hulot a mis en avant l’argument climatique. « Si l’on veut maintenir la date de 2025 pour ramener dans le mix énergétique le nucléaire à 50 %, ça se fera au détriment de nos engagements climatiques, a affirmé le ministre. Et ça se fera au détriment de la fermeture des centrales à charbon. » Et contredirait une promesse du projet de loi de finances pour 2018, de fermer les quatre dernières centrales à charbon françaises « ou [de les accompagner] vers des solutions moins carbonées ».

« Probablement que si l’on voulait s’acharner sur cette date, il faudrait même rouvrir d’autres centrales thermiques », a poursuivi Nicolas Hulot. Avant de s’engager à fixer « une date réaliste » pour la réduction du nucléaire à 50 % du mix énergétique, au terme d’un travail qui prendra « quelques mois ». Il a tout de même confirmé la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Selon RTE, la fermeture de vingt-quatre réacteurs nucléaires entraînerait un doublement des émissions de CO2

À l’origine de cette décision, le bilan prévisionnel pour 2025 dévoilé mardi 7 novembre au matin par Réseau de transport d’électricité (RTE). Dans un scénario baptisé « Ohm », le gestionnaire pointe la difficulté de réduire la part du nucléaire sans augmenter la part des énergies fossiles, donc émettre davantage de CO2, un gaz responsable du changement climatique.

Le scénario « Ohm » de RTE.

Plus précisément, le scénario prévoit la fermeture de vingt-quatre réacteurs nucléaires de 900 mégawatts (MW), soit une baisse de 22 gigawatts (GW) de la puissance nucléaire installée. Pour compenser, il table sur un développement des énergies renouvelables à un rythme deux fois plus soutenu qu’aujourd’hui. En 2025, les énergies renouvelables représenteraient alors un peu plus d’un tiers du mix énergétique, avec 88 GW de puissance installée (soit 10.500 éoliennes, 750 éoliennes en mer, 24 GW de photovoltaïque et 26 GW d’hydraulique).

« Mais malgré cela et une légère baisse de la consommation électrique, on aura quand même besoin de moyens thermiques supplémentaires », a prévenu Oivier Grabette, directeur général adjoint de RTE, qui a longuement présenté le scénario à la presse mardi matin 7 novembre, au trentième étage de la tour du groupe à La Défense. De nouvelles centrales à gaz d’une puissance totale de 11 GW devraient ainsi être mises en service pour assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique. En outre, « il sera difficile de fermer les centrales à charbon ». Ce rééquilibrage du mix énergétique entraînerait selon M. Grabette « un doublement des émissions de CO2 par rapport à aujourd’hui », jusqu’à atteindre des niveaux compris entre 38 et 55 millions de tonnes de CO2 par an. Un résultat à l’inverse des ambitions de la LTE, qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % à l’horizon 2030 (par rapport à 1990).

Si une synthèse du rapport a été publiée, les rapports complets ne sont pas publics, ce qui rend difficile l’analyse des hypothèses de RTE, notamment en matière d’évolution de la consommation d’électricité, de parc des véhicules électriques ou d’exportations de production électrique.

Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France, édition 2017 (RTE).

« On a l’impression d’une mise en scène pour faire croire à une décision raisonnable »

L’annonce de Nicolas Hulot a fait bondir Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. « On a l’impression d’une mise en scène pour présenter la décision du gouvernement comme étant la seule raisonnable, la seule pragmatique, et tuer la critique dans l’œuf, dénonce-t-elle. Ce qui nous semble révoltant, c’est que l’argument climatique soit mis en avant pour repousser la sortie du nucléaire. Si la priorité du gouvernement est vraiment de protéger le climat, pourquoi dégage-t-il plus de 4 milliards d’euros pour Areva dans un budget très serré, tout en demandant aux territoires à énergie positive de se serrer la ceinture ? » Par ailleurs, la question de la prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de 40 ans va se poser très vite. Si l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) autorise cet allongement, le chantier à mener pour la remise à niveau des réacteurs s’annonce immense – et immensément coûteux. « C’est autant d’argent qui ne sera pas mis dans la transition énergétique et les énergies renouvelables », se désole Mme Mijeon.

La porte-parole du réseau Sortir du nucléaire soupçonne une nouvelle dérobade du gouvernement pour ne pas avoir à affronter EDF. « Cette décision, sous couvert de réalisme, prépare l’inaction dans le cadre de la Programmation pluri-annuelle de l’énergie, juge-t-elle. On a l’impression que le gouvernement ne fait pas différemment du précédent et refuse de jouer le rôle de pilote de la transition énergétique. » C’est ce manque de courage qui, selon elle, aurait conduit le gouvernement à déclarer qu’il s’appuierait sur l’expertise de l’Autorité de sûreté nucléaire pour déterminer quels réacteurs fermer et lesquels prolonger. « Seulement, l’ASN, qui devait rendre son avis en 2018, a repoussé l’échéance à 2019 puis à 2021. Résultat, le gouvernement décide d’attendre lui aussi, alors que les signaux inquiétants se multiplient sur le mauvais état du parc et l’incapacité financière et organisationnelle d’Areva et d’EDF d’en garantir la sûreté. »

Pourtant, une réduction du nucléaire sans augmenter les émissions de CO2 serait possible, selon Négawatt

Depuis sa création en 2001, l’association Négawatt a publié quatre scénarios successifs de transition vers les énergies renouvelables. Yves Marignac, un de ses experts, est mesuré : « Nous continuons à penser qu’il est possible de tenir l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique d’ici 2025, sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre, avec plus de volontarisme sur la maîtrise de la consommation d’électricité et sur le développement des énergies renouvelables. » Pour autant, l’important selon lui ne sont pas tant les objectifs fixés que les politiques mises en œuvre pour y parvenir. « Il est inconcevable que le gouvernement recule sur un objectif structurant de court terme pour la politique énergétique du pays avant même d’agir, précise M. Marignac. La priorité ne devrait pas être de différer l’objectif mais d’accélérer les actions pour y parvenir. On sort d’un quinquennat qui a fixé un objectif fort de réduction de la part du nucléaire en 2025 mais qui n’a pas mis en œuvre les moyens d’y parvenir. Si l’intention de Nicolas Hulot est de reprendre le contrôle politique de la trajectoire énergétique et de mettre en place des actions concrètes de maîtrise de la consommation énergétique et de développement des énergies renouvelables, alors on attend bien autre chose que cette annonce ! »

Le scénario de RTE pour 2025, ainsi que ses quatre autres scénarios pour 2035, marquent néanmoins un tournant, selon Yves Marignac : « La lecture selon laquelle RTE dit seulement qu’il n’est pas possible de réduire la part du nucléaire à 50 % en 2025 est réductrice. Dans ses scénarios, RTE délivre des messages forts : la maîtrise de la consommation électrique est le premier levier d’action ; la consommation électrique va stagner ou baisser ; la fermeture de plusieurs réacteurs et le développement rapide des énergies renouvelables sont actés. » Un discours en rupture avec les précédents bilans prévisionnels présentés par le gestionnaire, qui comportaient tous des scénarios de maintien de la puissance nucléaire installée ou d’augmentation de la consommation électrique.

« Ces scénarios traduisent une évolution : le temps du nucléaire est fini, il va falloir fermer des réacteurs, confirme Charlotte Mijeon. Mais là où le bât blesse, c’est qu’on n’est toujours pas passé à la concrétisation. »

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