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Énergie

Le gouvernement écarte le scénario d’une sortie rapide du nucléaire

La Direction de l’énergie, administration du ministère de la Transition écologique, a demandé à RTE d’écarter délibérément les scénarios d’une sortie rapide du nucléaire. C’est ce que révèle Reporterre.

À la veille de la visite de Sébastien Lecornu à Fessenheim, cela se confirme : le gouvernement n’a pas l’intention de fermer d’autres centrales nucléaires de sitôt. Mardi 16 janvier, alors qu’entre soixante et soixante-dix personnes étaient réunies pour travailler sur le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), ce document stratégique censé mettre en œuvre entre 2023 et 2028 les objectifs de la loi sur la transition énergétique (LTE), la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a demandé à Réseau de transport d’électricité (RTE) de ne présenter que deux de ses scénarios de mix énergétique à 2035 – ceux, intitulés Ampère et Volt, qui maintiennent la part du nucléaire à son niveau le plus élevé. Et de passer sous silence les deux autres, Watt et Hertz, qui prévoient la fermeture de nombreux réacteurs. Ceci, sans que cette décision ait été soumise aux participants du groupe de travail et discutée avec eux.

Quand RTE avait dévoilé ces quatre scénarios (voir encadré ci-dessous) pour 2035 le 7 novembre 2017, lors de la présentation de son bilan prévisionnel pour 2025, le message était clair : il n’est pas possible de sortir rapidement du nucléaire sans rouvrir des centrales thermiques à gaz. Impossible dans ces conditions de respecter les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la LTE et les promesses de la France à l’égard de l’Accord de Paris. Le ministre de la Transition énergétique, Nicolas Hulot, s’était appuyé sur ces résultats pour annoncer, dès le lendemain de la présentation de RTE, qu’il serait « difficile de tenir le calendrier » de la LTE ou que cela « se fera au détriment de nos engagements climatiques (…) et de la fermeture des centrales à charbon ».

Plusieurs participants de l’atelier sur la PPE se sont indignés de cette présentation qu’ils jugent biaisée. Surtout que, selon eux, certaines hypothèses sur lesquelles RTE a bâti ses scénarios sont aberrantes. Pour Marc Jedliczka, porte-parole de l’association NégaWatt, le gestionnaire des réseaux — RTE — sous-estime le potentiel en économies d’énergie et en baisse de la consommation d’électricité. « RTE a travaillé sur une variante basse de la consommation d’électricité. Cela signifie qu’il nous en reste sous le pied même si cette variable n’a pas été utilisée dans les scénarios, souligne-t-il. En revanche, il table sur 15,6 millions de voitures électriques en 2035. C’est irréaliste ! Pour y arriver, il faudrait que dès aujourd’hui la moitié des voitures vendues soient électriques. Or, elles ne représentent actuellement que 1,2 % des ventes. Mais cette hypothèse a des conséquences fortes sur le scénario Ampère notamment, puisque la consommation électrique y est en baisse jusqu’à 2025 pour ensuite augmenter à nouveau jusqu’à son niveau actuel, à cause des véhicules électriques. »

Une explosion irréaliste des exportations d’électricité

Autre bizarrerie, les deux scénarios présentés par RTE tablent sur une multiplication par 2,5 des exportations d’électricité vers les pays voisins, jusqu’à des niveaux compris entre 134 à 159 térawattheures. À titre de comparaison, la consommation annuelle en électricité des Français est d’un peu plus de 450 térawattheures. « C’est aller vite en besogne ! Pour cela, il faudrait construire de nouvelles interconnections, autrement dit des lignes à très haute tension, ce qui prend des années et pose des problèmes environnementaux. Par ailleurs, cela suppose que nous produirons de l’énergie moins chère que celle de nos voisins et que ces derniers auront envie de nous l’acheter », pointe M. Jedliczka. Or rien n’est moins sûr, alerte Yves Marignac, directeur de Wise-Paris et membre de l’association NégaWatt : « Cette hausse de notre solde exportateur n’est pas compatible avec les objectifs et les stratégies affichés par nos voisins. Aucun d’entre eux ne se projette dans un scénario où il dépend du bon fonctionnement du parc français pour son approvisionnement électrique ! Ce n’est pas pertinent politiquement. »

Ce spécialiste du nucléaire flaire un scénario-piège. « Plutôt que d’attaquer les stratégies de remplacement du nucléaire par les énergies renouvelables, le lobby de l’atome propose une stratégie d’addition des deux. L’idée est que cela contenterait tout le monde et qu’on n’aurait qu’à exporter le surplus de l’électricité ainsi produite, analyse-t-il. Mais si les prévisions en exportations ne se réalisent pas et que les moyens manquent pour investir dans les deux secteurs, la priorité sera forcément donnée au prolongement du parc nucléaire au détriment des énergies renouvelables. » Un avis partagé par M. Jedliczka : « Développer les deux n’est pas tenable économiquement. Pour prolonger ses réacteurs, EDF va devoir mener un grand carénage » dont l’électricien estimait le coût à 45 milliards d’euros en mai dernier. En décembre 2016, la Cour des comptes avait évalué le montant du chantier à près de 100 milliards d’euros... Enfin, le porte-parole de Négawatt attire l’attention sur une « curiosité »  : « Comme par hasard, la quantité d’électricité issue des énergies renouvelables en 2035 correspond exactement au volume des exportations. Comme si l’on ne déployait les énergies renouvelables que pour les exporter ! »

Climat et sortie du nucléaire sont compatibles, selon le scénario NégaWatt

Pour M. Marignac, les scénarios de RTE nient l’évidence : « À long terme, il n’existe aucun scénario de maintien du nucléaire et de neutralité carbone. Si l’on donne effectivement la priorité à nos engagements climatiques, le seul scénario existant est celui développé par NégaWatt, qui prévoit d’importantes économies d’énergies, 100 % d’énergies renouvelables et la sortie du nucléaire. »

Contactée, la DGEC n’avait pas encore répondu aux questions de Reporterre mardi tard dans la soirée. Pour sa part, RTE n’a pas souhaité faire de commentaire ni sur le déroulement de l’atelier ni sur son contenu.

Que va-t-il se passer désormais ? « La DGEC a la main pour produire un projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui sera mis en discussion à un moment ou à un autre. Mais ce texte ne sera sans doute pas prêt pour le débat public qui doit commencer le mois prochain et risque de se dérouler sans document de référence », regrette M. Marignac. M. Jedliczka se veut optimiste : « RTE va publier dans les prochaines heures un rapport détaillant ses hypothèses et ses calculs. Cela va nous donner de la matière pour continuer à travailler. » Pour essayer de rectifier le tir avant la publication du décret final de la PPE, prévue en janvier 2019 au plus tard.


LES SCÉNARIOS PRÉSENTÉS PAR RTE EN NOVEMBRE 2017

  • Le premier, intitulé Watt, prend comme hypothèse la fermeture de chaque réacteur après quarante ans de fonctionnement et le triplement des capacités en énergies renouvelables. Mais, selon RTE, ce déploiement massif des énergies renouvelables ne permet pas de compenser la perte de l’énergie nucléaire, malgré une consommation électrique en baisse. Conséquence, la nécessité d’ouvrir de nouvelles centrales thermiques au gaz, et une hausse de 45 % des émissions des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 2016.
  • Le scénario Hertz table sur la fermeture de vingt-cinq réacteurs nucléaires pour que l’atome ne représente plus que 50 % du mix énergétique d’ici 2025, conformément à l’objectif de la LTE. La capacité en énergies renouvelables est multipliée par 2,5. Mais là aussi, malgré une consommation stable, de nouvelles centrales thermiques doivent être mises en service, ce qui maintient les émissions de GES à leur niveau de 2016. Ce qui viole un autre objectif de la LTE, de réduire ces émissions de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
  • Le scénario Ampère, lui, prévoit la fermeture de seize réacteurs, un triplement des énergies renouvelables et une consommation électrique stable. Il permet bien d’atteindre l’objectif de la LTE de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique, mais en 2030 au lieu de 2025. Il permet en outre une division par deux des émissions de gaz à effet de serre, à condition seulement de développer des capacités de stockage des énergies renouvelables.
  • Dans le scénario Volt, neuf réacteurs seulement sont mis hors service. La capacité en énergies renouvelables est multipliée par 2,5, la consommation baisse et les émissions de GES aussi – 60 % de réduction par rapport à 2016.
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