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Nucléaire

Le nucléaire français critiqué par des parlementaires

Sous-traitance massive, vieillissement des centrales, opacité, risque terroriste… Jeudi 5 juillet, la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a rendu un rapport alarmant sur les faiblesses du nucléaire français. Et réclame de remettre à plat ses choix de stockage et de retraitement.

« Quand on cherche des failles, on en trouve. Et nous en avons trouvé un certain nombre, certaines plus préoccupantes que d’autres. » Jeudi 5 juillet à l’Assemblée nationale, la députée (La République en marche) de la Somme, Barbara Pompili, a dévoilé le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, dont elle a été rapporteuse.

Pendant cinq mois, la commission a entendu 83 personnes — venues aussi bien d’EDF que du réseau Sortir du nucléaire — et a visité plusieurs sites nucléaires. Ses travaux l’ont conduite jusqu’au Japon, où des membres de la commission ont rencontré des responsables en poste au moment de l’accident nucléaire de Fukushima.

Résultat, un document de plus de 260 pages qui passe en revue les points faibles de la filière nucléaire française et de ses 58 réacteurs : recours excessif à la sous-traitance, risques aérien, terroriste et informatique, vulnérabilité des piscines d’entreposage et des transports de matières radioactives, etc. Avec, en introduction, une sombre constatation : « Notre pays est particulièrement dépendant de cette source d’énergie où le moindre incident peut avoir des conséquences catastrophiques pour des millions de personnes et pendant des dizaines de milliers d’années. »

Face à ces risques, la commission a émis 33 recommandations. « L’intérêt de tous, y compris de nos électriciens, est de remédier aux failles », a justifié Mme Pompili. Qui a évacué d’emblée tout débat pour ou contre le nucléaire : « Je suis membre de la majorité, dans la ligne du président de la République, qui est de respecter l’objectif de la loi de transition énergétique de baisser la part du nucléaire à 50 % du mix électrique. Donc, quoi qu’il arrive, il restera des centrales nucléaires et des transports de matières radioactives pendant encore des dizaines d’années. C’est pourquoi des précautions doivent être prises. »

Pour lutter contre ces mauvaises pratiques, « la question du contrôle est essentielle » 

Première faille identifiée par la commission, le recours massif à la sous-traitance dans l’industrie nucléaire. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), EDF sous-traite 80 % de la maintenance sur le gros matériel. Il en résulte « une perte de compétences des agents d’EDF qui délèguent de nombreuses missions et se retrouvent plus à contrôler qu’à faire », a alerté Mme Pompili. D’où la préconisation de la commission que les exploitants réintègrent certaines compétences.

La commission a aussi posé la question du rôle des sous-traitants en cas d’accident nucléaire. « Au Japon, l’ancien directeur de la centrale de Fukushima Masao Yoshida a raconté qu’au moment de la catastrophe, il n’a pas pu demander aux sous-traitants de rester pour régler le problème car ce n’était pas dans leur contrat », a signalé la rapporteuse.

Enfin, elle a pointé la grande inégalité de traitement — de suivi médical, notamment — entre les sous-traitants et les salariés « statutaires ». Avec des conséquences sur la sûreté : « Comme les sous-traitants se sentent sous-salariés, ils ont tendance à moins participer à la culture de sûreté. À la centrale de Gravelines, nous avons assisté à une inspection de l’ASN qui a mis en évidence des petits problèmes de sûreté dans des endroits où passait beaucoup de monde, mais qui n’avaient pourtant pas été signalés. » Pour remédier à cette situation, la commission recommande la définition d’une convention collective pour tous les salariés des entreprises sous-traitantes.

Autre point faible souligné par la commission, le manque de rigueur dans la construction et l’exploitation des réacteurs. En particulier, le recours de plus en plus fréquent au principe d’« exclusion de rupture », qui permet de ne pas prévoir un certain nombre d’équipements et de procédures de secours (par exemple, dans un réacteur) au motif que la pièce (par exemple, la cuve) est tellement solide et bien conçue qu’il est impossible qu’elle rompe. « Or, il a été mis en évidence que certaines pièces comme la cuve de l’EPR de Flamanville, pourtant placées sous ce dogme de l’impossibilité de rupture, n’avaient pas été usinées de manière correcte », rappelle la synthèse du rapport.

Arrivée de la cuve de l’EPR à Flamanville en 2013

À cela s’ajoute une multiplication des pièces non conformes : outre la cuve, les soudures de l’EPR de Flamanville, le casse-siphon manquant de Cattenom — une pièce pourtant indispensable au refroidissement et donc à la sûreté de la piscine — et globalement toutes les irrégularités et falsifications découvertes à l’usine du Creusot.

Pour lutter contre ces mauvaises pratiques, « la question du contrôle est essentielle », a insisté Mme Pompili. Qui a salué le travail de l’ASN, tout en regrettant que ses experts « soient coulés dans le même moule, ce qui fait qu’ils sont tous dans le même état d’esprit » et que ses moyens manquent, alors que ses champs d’intervention s’élargissent.

En outre, de nombreux réacteurs approchent de l’âge limite des quarante ans. Corrosion, altération des tuyauteries… les risques liés à leur vieillissement ne manquent pas. L’aggravation des changements climatiques, et son lot de sécheresses et de canicules, menace aussi le bon fonctionnement de certaines centrales qui utilisent l’eau des fleuves pour assurer leur refroidissement, alerte la commission.

D’où ses interrogations quant à la « pertinence de la prolongation de la durée d’exploitation de certaines centrales, tant en matière de sûreté et de sécurité qu’en matière économique ». Et sa recommandation d’établir dès que possible un calendrier de fermeture des réacteurs en fonction de critères de sûreté et de sécurité. « Cela permettrait aux territoires de se préparer, a plaidé Mme Pompili. Je vivais dans le bassin minier quand toutes les mines fermaient. On savait qu’elles allaient fermer mais on n’a rien fait, sauf pour les mineurs. Aujourd’hui, on essaie toujours de relancer une vie économique et sociale sur ces territoires ! » Un avertissement alors que le gouvernement doit dévoiler à la fin de l’année la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), et que Nicolas Hulot a promis, lors de la clôture du débat public le 29 juin, un calendrier précis pour la fermeture des réacteurs.

La commission n’épargne pas le projet Cigéo d’enfouissement en profondeur des déchets radioactifs 

Autre grand défi identifié par la commission, les risques qui menacent la sécurité des centrales : chute d’avion et drones, sabotage, attaque terroriste, cyberattaque. En novembre, un rapport commandé par Greenpeace alertait sur la vulnérabilité des piscines. Des militants de l’ONG ont réussi à plusieurs reprises à s’introduire dans des centrales. Mardi, un de ses drones s’abattait sur le bâtiment de la piscine de la centrale du Bugey (Ain). « Mais sur ces questions de sécurité, notre travail a été plus compliqué car nous nous sommes heurtés très vite au secret défense », a regretté Mme Pompili. EDF a ainsi refusé de montrer les plans du bâtiment abritant ses piscines de combustible, « alors qu’Orano a accepté de présenter […] les plans de ses piscines de La Hague, ce qui est paradoxal dans la mesure où ces piscines sont plus grandes et sont celles qui rassemblent la plus forte concentration de radioactivité au monde », peut-on lire dans le rapport. Tout au plus les députés ont-ils pu évaluer de visu l’épaisseur du mur lors de leur visite à Gravelines. « Cela pose un problème démocratique que les représentants du peuple ne puissent pas vérifier l’information », a estimé la rapporteuse. La commission préconise donc la création d’une délégation parlementaire permanente habilitée au secret défense.

Un drone de Greenpeace s’est écrasé contre la centrale nucléaire du Bugey (Ain) mardi 3 juillet.

Enfin, la commission s’est attardée sur la gestion des déchets du nucléaire. « Le problème de la vulnérabilité des piscines nous a poussés à nous interroger sur le choix de l’entreposage sous eau, a rapporté Mme Pompili. Si les piscines de La Hague vont être saturées d’ici 2030 et que le projet d’une nouvelle piscine d’entreposage va occasionner un investissement lourd et de nouveaux transports dangereux, pourquoi ne pas entreposer certains combustibles à sec ? Et si le choix de la piscine s’explique par celui du retraitement, est-ce qu’il faut continuer le retraitement ? […] La commission a eu ce rôle d’interroger des choix qui étaient présentés comme des évidences. » Ainsi, elle a commandé à l’IRSN un rapport comparant les avantages et les inconvénients de l’entreposage sous eau et à sec. Et elle réclame que le refroidissement à sec des combustibles soit envisagé et qu’une étude sur une alternative « à sec » soit réalisée avant de lancer le chantier de la nouvelle piscine centralisée.

La commission n’épargne pas le projet Cigéo d’enfouissement en profondeur des déchets radioactifs, dont elle relève « des lacunes en matière de sûreté », « l’impossibilité de prouver la sûreté à long terme » et « le coût imprévisible ». Elle préconise donc de poursuivre l’étude de la solution alternative d’un entreposage de longue durée en subsurface.

« On n’est pas d’accord sur tout mais tout le monde a été constructif », a conclu Mme Pompili. Signe de tensions au sein de la commission, la publication du rapport a été votée par 15 voix pour, six contre et deux abstentions. « Ce rapport souffre d’un péché originel dans sa construction. Il comporte un postulat de départ selon lequel les opposants au nucléaire, les antinucléaires, ont raison », a ainsi jugé le député (Les Républicains) Julien Aubert, vice-président de la commission.


EDF, MÉCONTENT, POINTE DES « ERREURS FACTUELLES »

EDF a immédiatement réagi à la sortie du rapport de la commission d’enquête parlementaire en soulignant des « erreurs factuelles ». « Il est clair qu’il est faux que le taux de sous-traitance pour les opérations de maintenance a augmenté. Il est stable depuis dix ou quinze ans », a indiqué Dominique Minière, directeur du parc nucléaire et thermique d’EDF. Qui a indiqué par ailleurs qu’un « cahier des charges social » a été rédigé avec la participation du groupe en 2012, qui « encadre » les activités des sous-traitants sur les centrales. « Une entité indépendante mesure depuis quinze ans la satisfaction de nos sous-traitants. Actuellement, notre note globale s’élève a 8/10 », a ajouté M. Minière.

Ce dernier a également justifié son refus de présenter certains documents classifiés secret défense par « la situation pénale très compliquée » dans laquelle cela plongerait le groupe.

« La tonalité un peu négative du rapport s’explique du fait que les deux tiers des verbatims sont extraits d’auditions d’organisations ou de personnalités antinucléaires qui ne sont pas des experts », a dit M. Minière. Qui souligne aussi que « la synthèse du rapport ne relève aucun manquement dans les obligations qui incombent à l’exploitant ».

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