EPIDEMIEL’« immunité collective » face au coronavirus, c’est quoi ?

Coronavirus : Qu’est-ce que l'« immunité collective » et pourquoi c’est un pari très risqué ?

EPIDEMIEAlors que certains pays ont adopté la stratégie de l’immunité collective, avant de se raviser, focus sur cette méthode plutôt critiquée par les scientifiques
Deux Britanniques à Londres, portant des masques. Pendant dix jours, alors que la France avait pris des mesures de confinement, Boris Johnson misait sur l'immunité collective. Mais le Royaume-Uni a changé de stratégie.
Deux Britanniques à Londres, portant des masques. Pendant dix jours, alors que la France avait pris des mesures de confinement, Boris Johnson misait sur l'immunité collective. Mais le Royaume-Uni a changé de stratégie. - Matt Dunham/AP/SIPA
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Lundi soir, Boris Johnson a annoncé un confinement national pour au moins trois semaines au Royaume-Uni.
  • Longtemps critiqué pour sa stratégie de l' « immunité de groupe », le Premier ministre s’est ravisé. Ce qui n’est pas le cas de la Suède.
  • Mais quel est ce principe ? Pourquoi pose-t-il problème dans le cas du coronavirus ? 20 Minutes fait le tour de la question en quatre points, pour y voir plus clair.

Le Royaume-Uni avait un temps fait le choix de miser sur « l’immunité collective » pour éviter le confinement et le blocage du pays. Les Pays-Bas également. Mais depuis quelques jours, ces deux pays semblent se raviser. Et opter pour des mesures plus sévères de confinement pour limiter la propagation de la pandémie de coronavirus. Mais de quoi parle-t-on exactement ? 20 Minutes vous aide à y voir plus clair.

L’« immunité collective », c’est quoi ?

C’est un principe selon lequel plus les personnes sont infectées par une maladie, plus elles développent des anticorps contre ce virus, et moins l’épidémie se propage dans la population. « Pour le Covid-19, on estime que le taux de reproduction [contagiosité] tourne autour de 2,5, explique Jean-Stéphane Dhersin, mathématicien spécialiste de la modélisation des épidémies. Ce qui veut dire que les 1.000 premières personnes infectées vont transmettre à 2.500 personnes. Si on ne fait rien, cette courbe augmente de façon exponentielle. Une fois que la moitié de la population est immunisée, un malade va contaminer en moyenne 1,24 personne. Et si 60 % de la population a été en contact avec le virus, vous ne le transmettez qu’à une seule personne. Quand vous arrivez à un taux de reproduction de 1, l’épidémie ne se propage plus. »

Voilà pourquoi certains pays ont fait le choix de ne pas confiner les populations, espérant qu’une diffusion rapide du virus, une fois qu’elle aurait touché 60 % des citoyens, provoquerait une immunité collective protectrice à long terme.


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Pour illustrer ce concept, Mircea T. Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l’université de Montpellier, prend une analogie : « Une épidémie, on peut la représenter comme un feu de forêt qui se propage vite. La différence avec les arbres, c’est que les humains bougent : nous avons des contacts pas seulement avec des voisins, mais au travail, pendant les courses. Il suffit qu’une fraction de la population soit résistante à la maladie pour qu’elle empêche la reproduction du pathogène. C’est comme si vous aviez une forêt moins dense. »

Historiquement, d’où vient ce concept ?

Les premiers modèles ont été publiés dès les années 1930. En travaillant sur la grippe espagnole du début du XXe siècle, des mathématiciens ont découvert qu’une épidémie ne meurt pas « faute de combattants » – situation dans laquelle l’agent infectieux finirait par disparaître avec les malades qu’il tue –, mais par acquisition d’une « immunité grégaire », explique Antoine Flahault, spécialiste en santé publique et en épidémiologie à l’AFP.

Mais ce concept est surtout utilisé pour lutter contre des épidémies quand on a un vaccin, afin de déterminer le taux de couverture vaccinal nécessaire, pour être sûr que la variole ou la rougeole va disparaître, par exemple.

Quels sont les pays qui ont choisi cette stratégie ?

Petit à petit, certains pays qui voulaient miser sur cette approche ont revu leur copie. Dans un premier temps, le Britannique Boris Johnson avait popularisé ce terme d’« immunité collective ». Alors que la France imposait un confinement à toute la population (avec quelques dérogations), nos voisins britanniques étaient invités à se laver les mains. Mais face à un scénario cauchemardesque, qui estimait que si rien n’était fait, 250.000 Britanniques pourraient mourir du coronavirus, le Premier ministre a finalement décrété lundi soir un confinement national pour au moins trois semaines.

Aux Pays-Bas, aussi, ce revirement se dessine, mais plus lentement. Si le Premier ministre, Mark Rutte, n’exclut plus un confinement total de la population, il espère « que ce ne sera pas nécessaire ». Mark Rutte avait déclaré la semaine dernière vouloir favoriser le développement d’une immunité collective aux Pays-Bas dont, avait-il prévenu, la plupart des habitants seraient contaminés.

Seul pays européen à faire cavalier seul, la Suède n’a pas suivi la voie du confinement. Si les lycées et universités sont fermés, les écoles primaires, restaurants et bars restent ouverts. Les critiques pleuvent sur les décisions de certains politiques, accusés de faire passer les conséquences économiques désastreuses du confinement avant la protection des plus fragiles.

Pourquoi cela pose problème pour le coronavirus ?

D’abord pour des raisons humaines : attendre que plus de la moitié de la population tombe malade, avec un taux de mortalité entre 1 et 5 % selon les pays, c’est laisser mourir un grand nombre de personnes vulnérables. Par ailleurs, rappelons qu’il n’existe aujourd’hui ni traitement, ni vaccin. C’est aussi un pari risqué car c’est faire fi des conséquences catastrophiques d’un afflux massif de patients dans des hôpitaux en manque de moyens.

Autre souci : il reste beaucoup d’interrogations sur ce Covid-19. Et une des questions porte sur l’immunité à long terme vis-à-vis de ce coronavirus : en gros, peut-on attraper deux fois cette maladie ? « Pour le Sras, coronavirus proche du Covid-19, des études ont montré que les anticorps pouvaient baisser au bout de deux ans, précise Mircea T. Sofonea. Ce qui veut dire que pour ce virus proche, l’immunité n’est pas garantie à vie. Attention, ce n’est pas pour autant transposable au Covid-19, qu’on découvre seulement depuis décembre. Personne ne peut vous dire si les personnes qui ont été contaminées auront une mémoire immunitaire persistante dans un an. Nous avançons dans le brouillard. »

Par ailleurs, ce virus peut-il muter ? « Rien ne dit qu’une immunité de groupe soit suffisante si la pandémie continue dans d’autres pays, qu’elle y circule à bas bruit, reprend l’expert. Et revienne dans quelques mois avec des mutations telles que notre immunité ne la reconnaîtrait pas. » Ainsi, la grippe réapparaît chaque hiver avec des souches différentes, voilà pourquoi il faut se refaire vacciner chaque année.

Pour beaucoup, la question de l’après confinement commence à se poser. Que se passera-t-il si, dès que les mesures strictes sont levées, les Français retournent dans les parcs, écoles et Ehpad ? « En l’absence de vaccin, sachant que cela prend entre 6 et 18 mois pour en développer en moyenne, l’épidémie a de fortes chances de redémarrer, y compris par des cas importés », avertit Marcea T. Sofonea. C’est d’ailleurs ce qui semble être observé dès à présent à Hong-Kong. « Tant que ce seuil de 60 % n’est pas atteint, les Etats devraient maintenir une vigilance sur les chaînes de transmission pour que l’épidémie ne redémarre pas, poursuit l’épidémiologiste. Notamment on gardant en quarantaine les nouveaux cas et en traçant tous les contacts. » Ou en maintenant un confinement pour les personnes les plus fragiles. Les politiques n’ont pas fini de faire face à des dilemmes cornéliens.

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