Les éditeurs  de presse dénoncent la “concurrence déloyale” de la RTBF

Une étude universitaire confirme ce que dénoncent depuis plusieurs années déjà les principaux médias de presse quotidienne.

Y. N.

Alors que le nouveau contrat de gestion de la RTBF, portant sur les années 2023 à 2027, fait actuellement l'objet d'intenses négociations entre le conseil d'administration du service public et la Fédération Wallonie-Bruxelles, les principaux éditeurs de presse quotidienne que sont les groupes IPM (La DH, la Libre et L'Avenir) et Rossel (Le Soir et Sudpresse) – réunis à travers l'association Lapresse.be – ont voulu apporter un regard académique et rationnel à propos de l'enjeu "crucial et complexe" de la transformation numérique de la presse écrite. Avec une question en filigranes : l'offre d'articles gratuits sur le site Internet de la RTBF est-elle légitime ?

Une question qui trouve une réponse négative, selon les conclusions d'une étude menée par trois professeurs d'universités – Paul Belleflamme (UCLouvain), Axel Gautier (ULiège) et Xavier Wauthy (Saint-Louis) -, mandatés par Lapresse.be. L'étude s'appuie entre autres sur le contrat de gestion 2019-2022 de la RTBF. Lequel stipule notamment que la RTBF peut produire des articles en ligne pour "soutenir, enrichir, prolonger, compléter et anticiper l'offre de services audiovisuels." Or, souligne l'étude, de nombreux articles publiés sur le site de la RTBF ne sont pas accompagnés de contenu audiovisuel et n'ont pas vocation à le devenir. "L'offre en ligne d'information écrite de la RTBF est en dehors des priorités de son contrat de gestion, assure Axel Gautier. Le site de la RTBF est développé de manière similaire à l'offre d'un journal en ligne et non pas comme un produit d'appel qui mènerait le lecteur vers du contenu audiovisuel couvert par la mission de service public de la RTBF."

Par ailleurs, l'offre d'articles gratuits sur le site de la RTBF ne serait pas économiquement viable sans les importants subsides – 288,3 millions € en 2020 – pour les seuls subsides en provenance de la FWB, dont ne peuvent bénéficier les médias privés. La RTBF reçoit par ailleurs des subsides de diverses sources pour des missions ponctuelles. "Il y a une distorsion de concurrence puisqu'on a un opérateur public subsidié qui crée une offre gratuite en concurrence avec des opérateurs privés non subsidiés et qui n'ont pas d'autre choix que de mettre en avant une offre de contenu freemium", à savoir un mix entre contenu gratuit et payant. "L'offre subsidiée et gratuite de la RTBF n'est pas compatible avec une concurrence sur base des mérites, poursuit Axel Gautier.À partir du moment où l'on a l'entrée sur un segment de marché commercial d'une offre qui est gratuite et subsidiée, on peut penser que la concurrence avec des opérateurs privés qui essaient de monétiser leur contenu est déloyale."

Quant à l'intérêt général, vanté par le service public pour justifier son offre d'articles gratuits en ligne, les auteurs de l'étude retournent l'argument. "C'est une vision à courte vue, confie Paul Belleflamme. Si cette concurrence déloyale met à mal le modèle d'affaires de la presse écrite, on peut penser qu'à long terme cette concurrence déloyale réduise la capacité de survie des éditeurs de presse privés. On peut donc se poser la question de l'intérêt généra à moyen terme si une bonne partie de la presse disparaît."

CEO d'IPM, François Le Hodey estime l'enjeu du débat crucial, à l'heure où le prochain contrat de gestion de la RTBF est en cours de négociation. "Les cinq prochaines années vont être les plus importantes de la presse quotidienne des quarante dernières années. Le postulat de base, quand la presse ne sera plus imprimée, est que la seule publicité ne permettra pas de faire fonctionner les sites de presse avec des revenus suffisants que pour rémunérer des rédactions comme nous en avons aujourd'hui", déplore-t-il. La partie abonnement digital sera absolument indispensable pour réussir le modèle économique de la presse dans un environnement Internet".

Or, interroge François Le Hodey, "comment réussir un tel modèle si l'offre, proposée payante par les éditeurs de presse privés, est disponible de manière gratuite par un acteur public subventionné ? Ce faisant, la FWB, qui subsidie la RTBF, détruit le marché des abonnements et appauvrit le pluralisme de la presse puisque les acteurs privés n'auront plus de base économique pour pouvoir développer leur activité et financer l'ensemble de leurs journalistes. L'offre payante ne pourra pas développer de manière suffisante et va disparaître. Au final, on va se retrouver avec un appauvrissement qui est exactement l'inverse de l'objectif initial."

Au final, les auteurs de l'étude proposent deux alternatives : "Soit le contrat de gestion inclut l'offre écrite en ligne dans les missions de service public ; dans ce cas, tous les opérateurs de marché doivent bénéficier des subsides. Soit le contrat de gestion n'inclut pas l'offre écrite en ligne dans les missions de service public. Et dans ce cas, l'opérateur public doit adopter une démarche de marché pour son offre de contenu écrit en ligne." En clair : cesser de proposer du contenu écrit gratuit financé par les subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Il y a cinq ans, lors de l'élaboration du précédent contrat de gestion de la RTBF, une série de limitations avaient alors été insérées au contrat de gestion de la RTBF au niveau de la production de contenu écrit gratuit. "Mais ce qui est désespérant, c'est que ces contraintes ne sont pas appliquées, et c'est le CSA qui le dit...", déplore François Le Hodey.

Contactée, la RTBF préfère ne pas commenter. "Nous n'avons pas reçu l'étude dont il est question, confie Axelle Pollet, porte-parole de l'administrateur délégué de la RTBF, Jean-Paul Philippot. Sans la lire, nous ne sommes pas en mesure de réagir." Tout juste précise-t-elle qu'écrire des articles sur le site de la RTBF "fait partie inhérente à notre mission de service public, celle de produire et diffuser des émissions, d'information et de divertissement, sous toutes ses rormes tant en radio qu'en télévision, et dans une perspective évolutive de notre mission, dans le respect du contrat de gestion de la RTBF, sur tous les nouveaux médias numériques dont font partie le web et les différents réseaux sociaux. Ce qui est indispensale pour embarquer tout les citoyens de la Communauté française. Ce qui est au coeur de l'ADN."

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