Une initiative inédite ce matin : 4 fédérations professionnelles tenaient une conférence commune pour alerter sur la menace directe que fait peser sur leurs petites entreprises le coût de l'énergie. C'est un vrai cri d'alarme que poussent ensemble patrons de supermarchés indépendants, bouchers, boulangers et exploitants Horeca.

C'est une première : il est vraiment rare que des organisations sectorielles s'allient pour communiquer. Quand on est indépendant dans l'âme, on l'est volontiers aussi dans sa communication. Mais là, ils étaient quatre à s'exprimer face à la presse : Pascal Niclot, Président d'Aplsia pour les supermarchés indépendants, Luc Marchal pour la Fédération HoReCa Wallonie, Albert Denoncin, Président de la Fédération francophone de la Boulangerie, et Philippe Bouillon, Co-Président de la Fédération royale nationale des bouchers, seule parmi ces organisations à ne pas être régionalisée. Pourquoi (presque) uniquement des fédérations francophones ? Les intéressés expliquent être certes en contact régulier avec leurs homologues flamands. "Mais si la situation est tout aussi difficile pour nos collègues au nord, la Flandre dispose d'autres budgets, bien plus importants, pour soutenir les entreprises, on l'a bien vu lors du Covid !"

Le point commun entre ces métiers ? Tous ont des besoins importants en énergie, qu'il s'agisse de chaîne du froid ou de cuisson, de chauffage ou de climatisation. Pour ce qui est des supermarchés, Benoît Kennes, administrateur chez Aplsia et lui-même exploitant d'un magasin de proximité dans le Brabant wallon, chiffre la consommation : "Le froid représente 70% de celle-ci, le chaud 20%, l'éclairage 10%. Pour ce qui est des consommations moyennes, on peut considérer qu'un magasin de 1500m2 consomme 750 MWh/an, un 600 m2 300 MWh/an, un 300 m2 150 MWh/an. A partir de là, il n'est pas difficile de comprendre combien l'explosion du coût de l'énergie nous impacte. Un supermarché de 1.000 m2 va passer d'une facture d'énergie mensuelle de 6.000 € en 2021 à 25.000 en 2023. Pour une petite surface de 300 m2, tout dépend : si elle est équipée en haute tension, son surcoût mensuel sera de 7.600 €. Si elle est équipée en basse tension, le surcoût mensuel grimpera à 12.324 €. Et tout ceci sans même évoquer l'indexation des salaires, le chauffage, l'indexation des loyers, et les pertes de marge que nous subissons en évitant de répercuter au consommateur l'intégralité des hausses de prix."

Poursuivant l'exercice, Benoît Kennes calcule les hausses de coûts que représentent pour un supermarché de 1.000 m2 les suppléments en électricité, l'indexation des salaires et l'indexation des loyers. Il aboutit au montant annuel de 364.270 euros.  "Pour notre secteur, c'est intenable. La distribution fonctionne sur des marges étroites. Sur un caddie client à 100 euros, notre bénéfice net avant impôts représente 2 euros. Faites le compte : avec des surcoûts d’électricité représentant, pour ce même caddie client, entre 2 et 8 euros, avec 1 euro d’indexation des salaires, et sans même parler du chauffage et des loyers, bon nombre de nos membres courent tout droit à la faillite. Avec des tarifs d’énergie à ce niveau, 90% d’entre eux seront en difficulté.”

Même son de cloches chez les bouchers. “Pour absorber ces charges d’énergie, nous devrions faire passer le prix du steak de 25/ kg à 45 €/kg, celui du jambon cuit basique de 20 à 36 €/kg. A ce prix-là, en vendrons-nous encore ?" Les boulangers font eux aussi grise mine : l’énergie représentait 6% de leur chiffre d’affaires, elle en pèse désormais 18%. “De nombreuses boulangeries ont déjà fermé, d’autres comptent le faire quand leurs contrats à prix fixes viendront à échéance." Quant à l’Horeca, déjà durement touché par le Covid, il subit la double peine : l’inflation alimentaire a débouché sur une hausse des prix dans le secteur de 15%. Aller au-delà pour compenser les surcoûts énergétiques est impossible, sauf à faire fuir les clients.

Quelles solutions ? 

Que revendiquent les fédérations présentes ? “Nous ne demandons pas l’aumône” plaident-elles. Mais elles ne croient pas fondamentalement aux vagues mesures d’aides ou saupoudrages de subsides, certes bienvenus, mais presque dérisoires par rapport à la taille du véritable problème : c’est le coût énergétique qui est la cause de tout, c’est lui qu’il faut impérativement plafonner, à 100 euros maximum le MWh. Faute d’agir sur ce paramètre critique, les problèmes s’accumuleront en aval. “Si nous devons payer l’énergie à ce prix, nous ne pourrons plus payer nos autres fournisseurs. Adapter nos prix à la hausse n’est pas une option : cela couperait toute consommation et pèserait sur le consommateur. Si rien n’est fait sur le coût de  l’énergie elle-même, tous nos secteurs risquent des vagues de faillites massives. Il y a urgence : voici 10 mois que les prix de l’énergie ont commencé à grimper. A ce jour, 50% de PME sont passées à des contrats d’énergie à tarif variable. Au 1er janvier prochain, la proportion sera de 80%. Toutes n’y survivront pas.”