"En France, la réforme des pensions est plus importante qu’en Belgique"
Pour Pierre Devolder (UCLouvain), la Belgique n’a pas réformé son système de retraite, alors que la France va trop vite.
- Publié le 12-12-2019 à 18h46
- Mis à jour le 12-12-2019 à 18h48
Pour Pierre Devolder (UCLouvain), la Belgique n’a pas réformé son système de retraite, alors que la France va trop vite.
Face au vieillissement de la population et à la réduction des naissances, les systèmes de retraites légales "par répartition" comme en Belgique et en France deviendront financièrement insoutenables. C’est pourquoi les gouvernements belge et français imposent des réformes peu populaires. Pour autant, le professeur à UCLouvain et spécialiste des systèmes de retraites Pierre Devolder estime que la réforme d’Emmanuel Macron n’est pas vraiment comparable à celle du gouvernement Michel.
Pourquoi n’est-il pas judicieux de comparer la réforme belge avec celle en cours en France ?
En réalité, la Belgique n’a rien changé à son système de retraite, elle s’est limitée à une réforme purement paramétrique en bougeant un peu l’âge légal de départ à la retraite, qui passe de 65 à 66 ans, puis à 67 ans pour ceux qui arrêterons de travailler en 2025 et en 2030. Le gouvernement a aussi modifié les conditions pour les départs à la retraite anticipée. Mais cela, sans modifier le système des retraites en profondeur.
En France, la réforme vise notamment à retarder l’âge réel de la pension, en gardant l’âge légal à 62 ans, mais en instaurant un âge pivot - plus avantageux - à 64 ans.
Oui, c’est un élément important, mais le gouvernement français décide cela tout en opérant une réforme systémique qui va complètement changer la structure du système actuel. C’est une réforme d’une ampleur beaucoup plus importante que chez nous. Si la Belgique avait opté pour un système de pension à points, comme cela avait été suggéré par le Conseil académique des Pensions, les deux réformes auraient été nettement plus comparables. La Belgique n’a pas réellement réformé les pensions : nous avons toujours les trois systèmes de pensions légales (salariés, fonctionnaires et indépendants) et les trois piliers (légal, complémentaire et individuel).
La France devait-elle mener cette grande réforme ?
Ce pays dénombre plus de 40 systèmes de pensions légales différentes avec toute une série de régimes spéciaux très complexes. Si vous travaillez pour EDF, la RATP ou encore la SNCF, vous aurez un système différent. Le président Macron voulait avant tout unifier tous ces systèmes. C’était sans doute utile, tant les écarts entre systèmes devenaient très injustes.
Il est devenu impératif de rendre le système français plus équitable ?
Oui, je le pense. Mais voilà, il me semble très ambitieux de vouloir harmoniser 42 systèmes fort différents en une seule réforme. Il aurait sans doute été plus facile d’unifier les systèmes de manière plus graduelle. D’ailleurs, en Belgique, dans le projet de pension à points, nous n’avions pas préconisé d’unifier les systèmes des salariés, fonctionnaires et indépendants. Nous proposions d’intégrer les mêmes paramètres et philosophies dans les trois systèmes sans les unifier. Quand Macron affirme que chaque euro cotisé doit rapporter la même prestation pour chaque Français, c’est une vision sans doute très louable mais la spécificité et la principale difficulté d’une réforme des retraites, c’est qu’il faut tenir compte des situations existantes. On ne part pas d’une feuille blanche, mais d’inégalités très fortes à résorber.
En instaurant un âge pivot à 64 ans, la France reste très en retard parmi les États-membres de l’Union européenne.
Avec le départ à la retraite à 62 ans, la France fait un peu office d’exception, car la plupart des pays européens ont opté pour la pension à 65, 67, 68 et même 69 ans. Le fait d’envisager la barre des 64 ans semble soulever de nombreux problèmes, mais la France devra bien - petit à petit - remonter son âge légal de départ à la retraite, comme dans les autres pays.
Si cette réforme est votée, le système de retraite français sera-t-il toujours plus avantageux que le nôtre pour les citoyens ?
Je reste prudent sur cet aspect, car le système est tellement complexe qu’on trouvera toujours un cas plus avantageux d’un côté ou de l’autre de la frontière. Il se fait que la France garde une tout autre architecture de ses retraites. Dans l’Hexagone, on ne recourt presque pas aux assurances groupe, aux fonds de pension ou aux systèmes de capitalisation, comme nous le faisons avec nos deuxièmes et troisièmes piliers. En France, tout repose sur le système par répartition. On ne peut donc pas se contenter de comparer les pensions légales, qui sont plus avantageuses en France, surtout pour certaines catégories. En Belgique, la pension des fonctionnaires est plus généreuse que celle des salariés ou indépendants.
Mais globalement, la France est-elle plus généreuse que la Belgique avec ses retraités ?
La France consacre 15 % de son PIB pour la pension légale, alors que la Belgique n’en dépense que 12 %. Cela fait 3 % de plus. Mais, à titre personnel, je crois que notre pays devra lui aussi passer par une vraie réforme structurelle des pensions.