Ursula von der Leyen tient la barre de la Commission européenne. Fermement
La présidente de la Commission va prononcer mercredi son premier discours sur l’état de l’Union. Après des débuts difficiles, l’Allemande a assis son autorité à Bruxelles.
- Publié le 15-09-2020 à 22h31
- Mis à jour le 18-09-2020 à 16h37
Voici où nous sommes, voilà où nous voulons aller. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prononcera ce mercredi matin son premier discours sur l’état de l’Union, devant le Parlement européen, à Bruxelles – et non à Strasbourg, le Covid-19 l’ayant emporté sur les traités et la tradition. Ce sera, pour l’Allemande, l’occasion de revenir sur les réalisations de cette première année de mandat mouvementée, et davantage encore de tracer les lignes directrices de celle qui vient.
Son speech sera suivi avec attention dans les travées de l’hémicycle mais aussi dans les capitales. Les doutes et récriminations qui avaient entouré sa nomination surprise par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE, début juillet 2019, n’ont plus cours.
Des débuts difficiles
Sa position apparaissait pourtant bien fragile au début de son mandat. Partant avec le handicap de ne pas avoir été Spitzenkandidat déclarée d’un des partis politiques européens, Ursula von der Leyen n’avait vu sa nomination confirmée, le 16 juillet de l’an dernier, qu’avec une faible majorité de 383 voix, neuf de plus que le seuil requis de 374 suffrages sur 751.
Les débuts de la présidente-élue sont compliqués. En 2014, son prédécesseur, Jean-Claude Juncker avait une équipe quasi prête à l’emploi quand il a emménagé au 13e étage du Berlaymont, le siège de la Commission. Même si elle est née à Bruxelles en 1958, Ursula von der Leyen débarque, elle, dans un biotope qui lui est peu familier, sinon étranger. “Les échéances étaient très courtes et il lui fallait se reposer sur des gens qu’elle ne connaissait pas”, rappelle un observateur. Elle débarque flanquée de deux fidèles, transférés de Berlin : Bjoern Seibert, son chef de cabinet, et Jens-Alexander Flosdorff, son éminence grise pour la communication. Elle s’adjoint un membre du sérail, la très efficace Française Stéphanie Riso, qui devient n°2 de son cabinet.
Les auditions parlementaires des candidats commissaires, chacun désigné par son Etat membre, mais à qui Ursula von der Leyen a attribué un portefeuille et confié une lettre mission, font trois victimes. La Roumaine Plumb, le Hongrois Trocsanyi et la Française Goulard sont blackboulés par les députés, ce qui retarde l’entrée en fonction de l’exécutif européen. La conservatrice allemande doit ensuite éteindre une polémique qu’elle avait elle-même créée en instituant le commissaire Schinas, qui a la migration dans son portefeuille, gardien de “notre mode de vie européen”.
Au final, le collège reçoit toutefois l’aval du Parlement européen avec une majorité confortable (461 voix pour, 157 contre et 89 abstentions), mais instable.
Très vite, les événements bousculent la nouvelle Commission. Celle de Juncker se disait “politique”, von der Leyen veut que la sienne soit “géopolitique” et affirme la place de l’Union dans le monde. “C’était attaquer l’Everest par la face Nord”, soupire une source européenne. Le concept est mis à l’épreuve cruelle des faits.
La Turquie rouvre la route migratoire vers la Grèce. La voix de la présidente ne porte guère quand elle appelle à éviter l’escalade après que les États-Unis ont éliminé le général iranien Soleimani.
La nouvelle équipe et son chef cherchent leurs marques. Au cours des dix mois qui ont suivi son entrée en fonction, Ursula von der Leyen va œuvrer pour asseoir la légitimité et l’autorité politique de la Commission qui porte son nom.
La crise du Covid-19 comme révélateur
Chronologiquement, le premier marqueur fort de l’an 1 de son mandat est ce Pacte vert, ou Green deal. La présidente de la Commission en présente le cadre en décembre dernier, dix jours après l’entrée en fonction de son équipe. Il s’agit rien moins que d’opérer une transformation de l’économie et de la société européenne pour amener l’Union à devenir “climatiquement neutre” à l’horizon 2050. "C'est une vraie chrétienne-sociale, mais sa conversion environnementale est récente", glisse le Belge Philippe Lamberts. Le co-président des Verts au Parlement européen note cependant avec satisfaction que son groupe, qui n'avait pas apporté son soutien à Ursula von der Leyen à l'oreille de celle-ci, qui a bien compris qu'elle devait traiter les députés européens en alliés. L’autre grand chantier lancé en parallèle par la Commission est celui de la transition numérique.
Mais c’est surtout la crise provoquée par le nouveau coronavirus qui agit comme un révélateur du leadership d’Ursula von der Leyen. Lorsque la pandémie Covid-19 commence à se répandre dans l’Union, la Commission donne l’impression que la situation lui glisse entre les doigts, d’autant que la question sanitaire échappe largement à ses compétences. “Au début, ça a cafouillé. Les frontières, c’était la pagaille”, rembobine une source européenne, rappelant l’époque où les États membres se barricadaient dans l’espoir vain que le virus resterait à la porte. “Puis von der Leyen a hyper bien réagi, elle a été active. Elle a eu l’intelligence de rebondir vite”. Pour éviter la paralysie du marché intérieur, la Commission crée les “couloirs verts”, qui permettent d’assurer la circulation des biens de premières nécessités.
Après avoir tangué, la présidente agrippe solidement la barre et fixe un cap de tempête. Elle peut compter sur la puissance de la machine qu’est l’administration de la Commission. L’ancienne chercheuse en épidémiologie organise une réponse européenne à la pandémie et met sur pied des groupes de pilotage, chargés de gérer les différents aspects de la crise : l’urgence sanitaire et l’approvisionnement en équipements médicaux, la résilience de l’économie, le voyage et les transports, le rapatriement des citoyens coincés hors de l’UE, la recherche, les vaccins…
Le plan von der Leyen à 750 milliards
Ce n’est pas tout : sans tarder, la Commission suspend l’application des règles budgétaires du pacte de stabilité et assouplit celles en matière d’aides d’État. Ursula von der Leyen n'écoute pas ceux qui tentent de la dissuader de proposer la création d'un instrument européen de soutien aux mesures de chômage temporaire, SURE, auquel seize Etats membres ont fait appel. “Les leçons du passé et de la crise de la zone euro ont été retenues”, souligne Antoon Hemerijck, professeur de sciences politiques à l’Institut universitaire européen de Florence. “Le fait est que von der Leyen a codifié une nouvelle manière de penser le futur de l’Europe, qui est plus solidaire, plus collective. Elle a fait du bon boulot en organisant son équipe autour de ce changement de paradigme. C’est une approche plus concentrée sur le long plutôt que le court terme”, estime M. Hemerijck.
Ce plan est ambitieux et inédit. En plus de déposer le nouveau projet de budget de l’UE pour la période 2021-2027, Ursula von der Leyen a fait la proposition historique d’autoriser la Commission à emprunter sur base de ce budget, jusqu’à 750 milliards d’euros. Destinés à priori aux régions et pays les plus affectés par l’impact économique de l’épidémie, les montants levés seront répartis sous forme de prêts et, surtout, de subventions.
Ce n’est pas la révolution “hamiltonienne”, du nom d’un des pères du fédéralisme américain, annoncée par les uns. Cela n’en reste pas moins une avancée considérable dans le processus d’intégration européenne, approuvée en juillet dernier par les leaders des Vingt-sept à l’issue d’un sommet interminable. A Paris, Berlin, surtout, mais aussi à Madrid ou Rome, on s’attribuera, non sans raison, une partie du crédit. La vérité est que c’est à la Commission que ce plan a été dessiné – dès avril, Ursula von der Leyen soulignait que le budget européen serait la matrice de la solution – avec le fort appui politique du président français Marcon et de la chancelière allemande Merkel.
Il n’y a qu’un patron à la Commission : c’est elle
Selon ceux qui la voient à l’œuvre, Ursula von der Leyen n’a pas la prétention de tout savoir, mais veut être mise au courant de tout et tout coordonner. “C’est une bête de travail. Il faut suivre”, entend-on dire à la Commission. En forçant à peine le trait, on pourrait dire que l’Allemande est entrée au Berlaymont comme on entre en religion. C’est bien simple : elle y vit, puisqu’elle s’est fait installer un petit appartement de 25 mètres carrés qui jouxte son bureau. “Elle travaille 7 jours sur 7 et ne rentre que tous les 36 du mois” en week-end dans sa famille, près de Hanovre, dans le nord de l'Allemagne.
“Dans la précédente Commission, il y avait deux patrons”, épingle un insider, faisant référence à l’omnipotence de Martin Selmayr, chef de cabinet de Jean-Claude Juncker devenu secrétaire général l’institution, depuis exilé à Vienne. “De toute façon, avec von der Leyen, ça n’aurait pas pu marcher comme avec Juncker”, assure un autre interlocuteur. Une seule tête dépasse : celle de la présidente. En témoigne entre autres sa propension à diffuser des vidéos d’elle sur les réseaux sociaux, dans lequelle elle annonce en anglais, allemand et français, les actions que la Commission va entreprendre.
Le collège des commissaires est bâti comme une pyramide : une présidente, trois vice-présidents exécutifs – le socialiste Timmermans, la libérale Vestager et le conservateur Dombrovskis –, six vice-présidents, puis un équipage de commissaires. Son fonctionnement n’en reste pas moins assez vertical. Il n’y a pas d’intermédiaire entre l’Allemande et ses commissaires. Elle n’est pas imperméable à leurs idées et suggestions, mais les marque “à la culotte”, fixant à certains, des deadlines à respecter quand l’actualité l’exige.
Si elle s’aperçoit qu’un de ses collaborateurs peut devenir source de problème, elle tranche à vif, comme elle le faisait quand elle était ministre. Le commissaire au Commerce, Phil Hogan, a été soumis à une intense pression politique dans son pays, l’Irlande, après qu’on a appris qu’il avait fait peu de cas des strictes règles de confinement en vigueur. Les explications que lui avaient demandées Ursula von der Leyen n’ont pas été jugées suffisamment convaincantes pour qu’elle lui apporte un soutien sans faille.
Big Phil a présenté sa démission sans que l’Allemande ne le retienne.
Mais Ursula von der Leyen a tôt fait comprendre à Dublin, qui lui avait quelque peu forcé la main, que le poste de commissaire au Commerce n’irait pas au successeur de M. Hogan. L’Irlande a présenté deux candidats, un homme et une femme, comme l’avait demandé la présidente. Pour la forme. Car il était clair qu’Ursula von der Leyen souhaitait que ce soit la vice-présidente du Parlement européen, Mairead McGuiness, qui rejoigne son équipe. Pour les qualités de l’Irlandaise, mais aussi parce que cela permet à la présidente de tenir sa promesse d’un collège (presque) paritaire de 13 femmes et 14 hommes.
De l’art d’obtenir ce que l’on veut.