Confinement: "C’est un gros défi de se dire qu’on est parti pour un marathon"
À la phase de crise succède aujourd’hui la phase d’adaptation aux mesures drastiques de distanciation sociale. La communication doit désormais cibler davantage les jeunes, recommande Olivier Luminet (UCLouvain).
- Publié le 01-04-2020 à 18h03
- Mis à jour le 02-04-2020 à 11h53
"Prenez soin de vous, prenez soin des autres : restez chez vous.” Ce message, assorti de mesures restrictives (fermeture des écoles, des établissements Horeca, des lieux culturels ; distance de sécurité d’1,5 m ; etc.) est martelé à la population belge depuis près de trois semaines. Objectif ? Réduire la propagation du Covid-19, hautement contagieux. Face à cette situation totalement inédite, “c’est spectaculaire la vitesse à laquelle les comportements des gens ont changé – ne plus se faire la bise ou se serrer la main, se laver les mains régulièrement,… –, constate Olivier Luminet (1), directeur de recherches au FNRS et professeur de Psychologie à l’UCLouvain. Surtout par rapport à tout ce qu’on essaie de faire changer en général : que les gens roulent moins vite, qu’ils fument moins, qu’ils fassent plus de sport,…”
Être capable de s’adapter
Comment expliquer ce changement radical de nos habitudes en un temps restreint ? “L’être humain a des capacités d’adaptation très importantes, indique le Pr Luminet. Nous avons toujours été habitués à avoir des standards de liberté quasi totale. Mais, ici, nous devons adapter nos standards habituels”. Pour lui, “la clé de l’adaptation, c’est changer les standards”. Si l’on regarde en arrière, il y a un peu moins d’un mois, la perspective de fermer les écoles pendant cinq semaines paraissait “inimaginable”, rappelle-t-il. Or, “nous avons pu y faire face”. Idem, par exemple, pour l’annulation des vacances de Pâques. “Aujourd’hui, c’est embêtant, mais ce n’est plus considéré comme une catastrophe.” Donc, “au moment où les gens reçoivent la nouvelle, c’est la pire chose qui puisse leur arriver, et puis, ils s’adaptent. Ce qui permet de tenir sur un temps plus long, affirme-t-il. Pour moi, nous sommes passés de la phase de crise aiguë, d’anxiété à une première phase d’habituation, d’adaptation”.
Annoncées jusqu’au 19 avril, les mesures de confinement pourraient être prolongées jusqu’au 3 mai, voire plus. Les autorités politiques et sanitaires le répètent à l’envi : il ne faut pas relâcher les efforts. “C’est un gros défi de se dire qu’on est parti pour un marathon”, convient Vincent Yzerbyt, professeur de Psychologie sociale et culturelle à l’UCLouvain. “Il ne faut pas que la population désespère, complète son collègue Stephan Van den Broucke, professeur à la faculté de Psychologie et de sciences de l’éducation de l’UCLouvain, car, de fait, ce qui est difficile à gérer, c’est l’incertitude liée à la durée des mesures”. Les gens ne risquent-ils pas de péter un plomb et d’envoyer brusquement le respect des mesures au diable ? L’épidémiologiste Yves Coppieters (ULB) nous expliquait il y a quelques jours que “quand il y a un danger (en épidémiologie on appelle cela un danger), et le danger il est là, c’est le virus, ce qui est difficile, c’est de faire comprendre aux gens que ce danger est là. Or, les gens ont compris que le danger était là. Donc, ils ne vont pas sortir spontanément, ils ne vont pas recommencer à reprendre la voiture,…”
Une information transparente et claire
Et les gens vont tenir bon sur la durée, poursuit-il, “s’il y a une bonne communication, s’il y a une information transparente, si on explique clairement les choses, qu’ils n’aient pas l’impression qu’il y a des zones d’ombre dans ce qui se passe”. Il n’est, en effet, pas exceptionnel d’observer des personnes qui ne respectent pas la distance d’1,5 m lorsqu’elles font leurs courses par exemple ou de croiser de jeunes gens qui continuent à se faire la bise. “Contrairement à ce que l’on croit, les gens ne sont pas nécessairement enclins à enfreindre les recommandations pour le plaisir, affirme Vincent Yzerbyt. Dans la population, il y a des tas de gens qui font des choses par automatisme, par distraction,… parce qu’ici, nous sortons d’un ensemble d’habitudes de vie qui étaient très différentes. Il faut donc changer fondamentalement toute une série de postures et d’attitudes dans nos interactions du quotidien. Et cela ne se fait pas du jour au lendemain”. D’où la nécessité de répéter “inlassablement et avec bienveillance” les règles de sécurité, en mettant l’accent sur le fait qu’elles sont appliquées au bénéfice de tout le monde.
Mieux cibler les jeunes
“Bien entendu, ajoute-t-il, il y aura toujours une minorité de récalcitrants et pour cela, il y a des sanctions”. “C’est une toute petite catégorie de la population qui est en recherche de sensations fortes et aime provoquer le danger, précise pour sa part Olivier Luminet. Il y en a toujours eu. Cela s’est déjà vu dans d’autres situations, notamment dans la prévention du Sida”.
Quant aux plus jeunes qui éprouvent pas mal de difficultés à se plier aux règles de distanciation, cela relève pour M. Luminet d’“une non-conscience du danger”. “Ils ont l’impression d’être invulnérables, mais il y a des cas maintenant de jeunes qui sont décédés et qui montrent qu’ils ne sont pas à l’abri.”À ce titre, “il faut désormais réfléchir à des messages ciblés, centrés sur ce sous-groupe auprès duquel la communication passe moins bien”, notamment en passant par “des figures symboliques auxquelles ils peuvent se rattacher” (des chanteurs, des sportifs, des humoristes,…).
(1) Avec son équipe de recherche en psychologie de la santé, le Pr Olivier Luminet a lancé une enquête en ligne sur les réactions émotionnelles et les comportements mis en place dans nos sociétés pour faire face à la pandémie de coronavirus. Pour y participer : http://bit.ly/corona-uclouvain