Comment préserver le pouvoir d’achat? «Il faut s’attaquer à la source du problème»
Face à la flambée de l’inflation, les partis dégainent leurs propositions. Pas toujours évidentes à mettre en œuvre. Décorticage avec les économistes Jean Hindriks et Étienne de Callataÿ.
- Publié le 05-05-2022 à 07h00
Cela n’aura pas échappé à aucun ménage belge: le pouvoir d’achat est mis à rude épreuve ces derniers mois. Les carburants et la facture énergétique sont au cœur des préoccupations, de même que, de plus en plus, les biens de première nécessité comme l’alimentation.
Face à l’inflation qui a explosé – elle s’élève toujours à environ 8% -, plusieurs partis politiques ont formulé leurs propositions voici quelques jours à peine, dans le contexte du 1er Mai. On y retrouve diverses mesures, sensiblement différentes en fonction des orientations politiques des uns et des autres: blocage des prix, allocation universelle, hausse des salaires, baisse de la fiscalité sur le travail, sans oublier la fameuse et symbolique "taxe des millionnaires".
Le PTB insiste beaucoup sur une contribution à imposer sur les surprofits engrangés par certaines entreprises. Ce mercredi, L’Écho annonçait une rente nucléaire de 1,24 milliard pour Electrabel en 2021, un montant transféré à la maison mère Engie.Et dans lequel le gouvernement doit puiser, estime le parti de gauche.Alexander De Croo (Open Vld) rappelait que cela permettait de financer des mesures telles que la baisse de la TVA sur l’énergie et des accises.
En matière énergétique, pour rappel, le fédéral a d’ores et déjà débloqué trois ensembles de mesures: tarif social élargi prolongé, baisse de la TVA, prime mazout, etc.
En parallèle, à la demande du gouvernement fédéral, un groupe d’experts a été chargé de plancher sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises, dans ce contexte de tension. Ce travail doit aboutir à des recommandations, des mesures à prendre pour faire face à l’inflation et aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine.
Dans ce contexte, d’ardents débats s’annoncent sur le plan politique, notamment dans le cadre de la réforme fiscale promise par la Vivaldi. Visions de gauche et de droite s’opposent. C’est le cas sur la question des salaires. En schématisant un peu, syndicats et partis de gauche veulent alléger les contraintes qui pèsent sur les négociations salariales dans les entreprises, encadrées par une loi de 1996 modifiée en 2017. Cela impliquerait de s’attaquer à la question de l’indexation automatique des salaires, pour la droite et le patronat. Une indexation intouchable pour la gauche, qui la considère comme un filet de sécurité indispensable face à la hausse spectaculaire du coût de la vie.
Inégaux face à l’inflation
"Ce qui m’étonne, c’est quand dans les propositions que je lis, il est souvent question de taxer plus, alors que la logique voudrait que l’on taxe moins en pareille situation. D’autant plus que la Belgique est déjà le troisième pays le plus taxé d’Europe" , s’insurge Jean Hindriks, économiste à l’UCLouvain et fondateur de l’Itinera Institute.
Il indique au passage que l’inflation touche bien davantage les bas revenus que les plus élevés. "En matière de prix d’énergie, de carburants, de produits alimentaires, l’impact est 7 fois plus lourd pour le budget des ménages les moins riches que pour les plus riches" , précise-t-il, pointant l’absence de marge de manœuvre propre à certaines catégories de population. "Pour l’énergie, par exemple, 90% des plus bas revenus sont des locataires, qui n’ont pas le choix de leur mode de chauffage" , illustre-t-il.
Jean Hindriks plaide pour des mesures politiques "qui s’attaquent à la source du problème, à savoir l’inflation, qui est d’ailleurs plus importante en Belgique que dans les pays voisins. Il faut se poser les bonnes questions et s’attaquer au problème" .
«Lisser les prix»
Lui, par exemple, est favorable à l’instauration d’une norme des prix, comme un contrôle beaucoup plus strict et fin que ce qui se pratique. "Il faut lisser les prix, c’est indispensable. Savez-vous qu’un ménage belge sur trois va faire du shopping dans un pays limitrophe? Il me semble que ça indique des choses sur les prix" , sur la concurrence et les marges pratiquées, selon lui.
"Je ne dis pas qu’il ne faut pas introduire de taxe, mais il faut veiller à ne pas être contre-productif" , dit-il, lui qui préconise des mesures ciblées sur les publics les plus en difficulté.
Augmenter les salaires
On en entendra encore parler, ces prochains mois, de la loi de 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde de la compétitivité. Ce texte a fait l’objet d’une modification en 2017, sous le gouvernement Michel, rendant la norme salariale non plus indicative, mais contraignante. Un carcan imbuvable, selon les syndicats. Une nécessité, pour le patronat.Concrètement, cela signifie qu’au-delà de l’indexation automatique, les augmentations salariales ne peuvent pas dépasser la norme (0,4% lors du dernier accord interprofessionnel), lors des négociations entre partenaires sociaux.
Socialistes, écologistes, PTB: tous veulent "sortir du carcan" pour donner des marges de négociation dans les secteurs où des augmentations au-delà de la norme sont possibles. Pas question, pour les libéraux, qui exigeraient alors que l’on rediscute de l’indexation automatique. Les débats à venir au sein de la Vivaldi s’annoncent animés.
"Tout dépend du point de vue. Une loi, ça peut se changer , glisse Étienne de Callataÿ. Mais indexation et loi de 96 forment un package global. Pour le patronat, toucher à l’un impose que l’on touche à l’autre. Les syndicats veulent qu’on modifie la loi de façon indépendante, partant du principe que cette loi, au regard de certaines entreprises qui se portent bien, mais aussi de travailleurs qui tirent la langue, constitue une taille unique qui ne correspond pas à l’hétérogénéité du paysage" .
Baisser la fiscalité
Le constat est plutôt partagé au sein de la classe politique: la fiscalité sur le travail apparaît comme trop lourde en Belgique. Une réforme fiscale orchestrée par le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), est d’ailleurs attendue au cours des prochains mois et devrait en principe se saisir du sujet.
Plusieurs partis ont formulé leurs exigences dernièrement.C’est le cas d’Écolo, qui demande une série de mesures de relèvement des revenus, dont un crédit d’impôt sur les bas salaires et une réorientation des réductions de cotisations vers les plus bas salaires. Le MR propose de relever de 9000 à 12000 euros la quotité exemptée d’impôts. Un élargissement de la première tranche, exonérée d’impôt, en d’autres termes.
"Clairement, il faut alléger la fiscalité sur les salaires, en particulier les bas salaires, et éliminer les pièges à l’emploi" , abonde Jean Hindriks, réticent à l’idée de voir arriver de nouvelles taxes en réaction à l’inflation.
"Le travail est lourdement taxé, mais en plus, en Belgique, on atteint très vite des taux marginaux de taxation plus élevés. En gros, dès que vous dépassez 15000 euros, vous l’euro supplémentaire sera taxé à 50%" , décrit Étienne de Callataÿ, pointant un manque problématique de progressivité.