«Concurrence déloyale»: face à la RTBF, la presse écrite fourbit ses armes

Les groupes IPM et Rossel, les deux principaux acteurs de la presse quotidienne francophone l’affirment, étude à l’appui : ils subissent une concurrence déloyale de la RTBF. Au cœur des débats : les articles écrits diffusés gratuitement sur le site du média de service public.

Benjamin Hermann
 La survie des titres de presse écrite est menacée par ce qu’ils estiment être une concurrence déloyale de la RTBF.
La survie des titres de presse écrite est menacée par ce qu’ils estiment être une concurrence déloyale de la RTBF. © Jacques Duchateau

C’est un vieux litige qui oppose la RTBF aux éditeurs de presse quotidienne francophone, à savoir les groupes IPM ( La Libre , La DH/Les Sports et L’Avenir ) et Rossel ( Le Soir , Sudinfo ). Et qui refait surface en cette période où se discute au parlement de la FédérationWallonie-Bruxelles le futur contrat de gestion du média de service public, pour la période 2023-2027.

Depuis l’avènement du numérique, les quotidiens voient d’un mauvais œil le fait que la RTBF publie en ligne des articles écrits, accessibles gratuitement. Un mélange des genres que dénoncent Bernard Marchant et François le Hodey, respectivement CEO de Rossel et d’IPM.

Lors des débats sur le précédent contrat de gestion, des balises autour des contenus écrits de la RTBF (limites de longueur, lien avec le contenu audiovisuel, etc.) avaient été fixées. Mais ce cadre n’est pas respecté, dénoncent-ils, malgré les remontrances du Conseil supérieur de l’audiovisuel. "C’est une question de gouvernance publique , commente Bernard Marchant. S’il y a des contrats de gestion, qu’ils soient appliqués" .

Regroupés dans l’associationLA PRESSE. be, les éditeurs ont cette fois commandé une étude pour objectiver les enjeux. Menée par les professeurs d’économie Paul Belleflamme (UCLouvain), Axel Gautier (ULiège) et Xavier Wauthy (Université Saint-Louis), ses conclusions pointent clairement une concurrence déloyale. De quoi apporter de l’eau au moulin des patrons de presse, les professeurs insistant au passage sur l’indépendance avec laquelle ils ont réalisé leur rapport.

Question de survie

Ces craintes s’inscrivent dans un environnement qui a profondément changé ces dernières années, au rythme de la convergence numérique: le fait que des contenus (texte, vidéo, musique, photos) sont désormais produits, diffusés et consommés sur de mêmes supports numériques.

La presse écrite ne parvient pas à atteindre ses objectifs d’abonnements numériques. Le marché publicitaire a été bouleversé par l’arrivée des géants du web, qui se taillent une part importante du gâteau. La RTBF risque de planter le dernier clou en continuant à diffuser du contenu écrit gratuitement.

L’étude analyse la légitimité de la production écrite de la RTBF sous trois angles: vis-à-vis de son contrat de gestion, du point de vue économique et de l’intérêt général. Sur les trois points, l’étude recale le service public.

guillement

«Il faut comprendre que cc’est une question existentielle pour la presse écrite.»

Sur le premier, "l’offre écrite en ligne est en dehors du “scope” du contrat de gestion" , assure Axel Gautier. Pour la justification économique, il apparaît que la diffusion gratuite d’écrits n’est pas rentable en soi et s’effectue nécessairement au moyen des subsides. Aux frais de la princesse, donc, alors que les médias privés concourent dans une logique de marché. Le site d’info de la RTBF n’est pas de manière évidente conçu pour valoriser ses contenus audiovisuels. La "distorsion de concurrence" , en définitive, pourrait mener à l’éviction de médias privés et à l’appauvrissement de la diversité de la presse.

Les éditeurs attendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles qu’elle entende leurs arguments et fixe un cadre plus contraignant dans le contrat de gestion. En s’appuyant sur les conclusions de l’étude, ils avancent deux scénarios. Soit le contrat de gestion de la RTBF « inclut l’offre écrite en ligne dans les missions de service public » , auquel cas les médias privés doivent aussi bénéficier de subsides. Soit l’offre écrite en ligne n’y figure pas et la RTBF sera tenue de développer cette activité-là dans une logique de marché, sans puiser dans ses subsides. « C’est peut-être un détail pour l’avenir de la RTBF, mais c’est une question existentielle pour l’avenir de la presse écrite » , résume François le Hodey.

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