Elle visitait la capitale avec ses parents et son frère. L’automne est une bonne saison à Téhéran. On s’éloigne de la fournaise estivale et le grand froid est encore loin. Elle avait 22 ans, ne s’intéressait pas à la politique, plutôt aux chanteurs de l’époque. Mahsa Amini venait de la petite ville de Saqqez, dans le Kurdistan iranien (nord-ouest), une région socialement conservatrice.
Cette matinée du 13 septembre, elle avait pris le métro pour se rendre dans le centre de Téhéran et elle marchait le long d’un parc. Elle portait son foulard « islamique » : la théocratie au pouvoir l’impose depuis 1983. Passant par là, une camionnette de la police des mœurs interpelle la jeune femme : son foulard serait mal mis – peut-être trop en arrière. Mahsa Amini est embarquée puis conduite dans un commissariat. Quelques heures plus tard, elle est transportée à l’hôpital, dans un coma profond. Elle meurt, le 16 septembre. Elle est inhumée à Saqqez, le 17. Il n’y a pas eu d’autopsie. Morte pour une mèche de cheveux, dans la splendeur de ses 22 ans ?
Les autorités évoquent un problème cardiaque. Ses parents, venus à l’hôpital, sont sûrs qu’elle a été frappée. Ils parlent de traînées de sang le long de ses tempes. Dans leur brutale simplicité, voilà les faits. Mais cette mort inexpliquée, sinon qu’elle a suivi une arrestation pour foulard « improprement » porté, cette mort d’une jeune femme qui, jusqu’à cette matinée d’automne, semblait en pleine santé, va déclencher la tempête. Les dictatures sont toujours surprises. Vient un moment où la petite nouvelle de bas de page, juste une infamie parmi tant d’autres, se transforme en détonateur – le trop-plein qui décuple le courage d’une partie de la population et provoque l’explosion. Le régime est défié comme il l’a rarement été.
Journées de rage
Depuis vingt jours, aux quatre coins du pays, les Iraniens, femmes et hommes, manifestent par milliers. Ecolières, étudiantes, des Iraniennes brûlent le « voile » en pleine rue. Dans les régions les plus conservatrices, elles libèrent la parole et leur chevelure. Les universités sont mobilisées et, çà et là, éclatent des grèves. Cette jeunesse, née sous le régime islamique, brave la violence d’une machine à réprimer qui n’hésite pas à tirer dans la foule et à défigurer des adolescentes à coups de matraque. Les morts se comptent par dizaines, les arrestations par milliers.
Au fil de ces journées de rage, les slogans ont évolué. De la dénonciation du foulard « islamique », on est passé à la condamnation du régime « islamique ». Jamais mouvement de contestation n’a duré aussi longtemps depuis la révolution iranienne, il y a quarante-trois ans.
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