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Baisse des impôts de production : le gouvernement se trompe de cible
Jean Castex a confirmé la baisse de 20 milliards d'euros d'impôts sur deux ans.

Baisse des impôts de production : le gouvernement se trompe de cible

Toujours moins d'impôts

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Dans le cadre de son plan de relance, le gouvernement a fait le choix de baisser les impôts de production, au premier rang desquels la CVAE. Pour autant, il n’engage pas de réforme fiscale cohérente…

Voilà une des rares théories qui fait consensus au sein du monde économique : les impôts dits de production ne sont pas les plus intelligemment conçus. Taxe sur les salaires, taxe foncière, CVAE, CFE, et autre C3S s’appliquent aux entreprises qu’elles soient en perte de vitesse ou en pleine croissance. Or, dans un monde idéal, mieux vaut taxer la richesse nouvellement créée afin d’en redistribuer les fruits.

Pour de nombreux économistes, ces impôts seraient même équivalents à des taxes à l’export sur les entreprises françaises, puisqu’ils pèsent plus de 70 milliards d'euros chaque année, soit par exemple 17 milliards d’euros de plus qu’en Allemagne, selon le cabinet Accenture cité dans les Echos. Sans surprise, le Medef réclame constamment leur suppression, d’autant plus en cette période post-confinement, une occasion en or pour pousser des propositions. Les patrons ont été entendus : le Premier ministre Jean Castex a confirmé mercredi 26 août aux Universités du Medef une baisse de 20 milliards des impôts de production sur deux ans dans le cadre du futur plan de relance qui sera détaillé la semaine prochaine. Un nouveau cadeau fiscal qui a nourri les applaudissements du parterre de chefs d'entreprises auquel il faisait face.

Pour atteindre ces montants, le gouvernement va principalement s’appuyer sur la suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, ce qui représente entre 9 et 10 milliards d’euros de baisse. En échange, l’État redistribuera aux régions une part de TVA. Jean Castex a aussi annoncé que la taxe foncière sur les locaux industriels serait divisée par deux à terme et que le champ des dégrèvements sur certains impôts serait élargi.

La CVAE, le bon impôt à baisser ?

Toutefois ces annonces posent questions. D’abord, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est-elle le bon impôt de production à réduire ? En effet le prélèvement de la CVAE s'opère "en aval du processus de production et s'adapte en fonction de l'activité de l'entreprise", rappelait un rapport de deux sénateurs qui lui était consacré en 2017. Elle n’est donc pas un impôt totalement déconnecté de la réalité économique. D’autant que "le choix de taxer la valeur ajoutée permet d'équilibrer la charge fiscale entre les secteurs économiques, mais aussi entre les facteurs de production - travail et capital", est-il ajouté.

La CVAE est en fait à la croisée des chemins entre l’impôt sur le chiffre d’affaires et celui sur le bénéfice. Son statut d'impôt de production est donc contestable. Ce qui rend par ailleurs les comparaisons internationales hasardeuses. Par exemple, selon un spécialiste des finances locales, le "Gewerbesteuer" allemand, une taxe professionnelle qui rapporte 50 milliards d’euros brut par an aux communes outre-Rhin, n’entre pas, contrairement à la CVAE, dans le champ des impôts de production au sens de la comptabilité européenne ; mais une partie de son assiette est en fait très proche de celle de la cotisation foncière des entreprises (CFE), considérée comme un impôt de production en France...

Les impôts fonciers, dernier levier fiscal des communes

Autre interrogation : faut-il s’attaquer aux impôts fonciers dits "économiques" ? Combinées, la taxe foncière et la CFE pèsent près de 20 milliards d’euros, selon le Conseil d’analyse économique. Une manne significative que le gouvernement lorgne. Mais il peut d’ores et déjà s’attendre à de copieux débats. En effet, les impôts fonciers ont pour particularité d’être les derniers impôts sur lesquels les collectivités locales, principalement les communes et les intercommunalités, ont le pouvoir de moduler les taux. Or, pouvoir fiscal allant souvent de pair avec démocratie locale, "raboter ou supprimer les impôts fonciers reviendra à agiter un chiffon rouge face au bloc communal", pense le même expert en finances locales.

En fait, c’est la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) – qui n’existe qu’en France – qui est le plus souvent pointée du doigt pour son caractère injuste : cette taxe du chiffre d’affaires des entreprises au-delà de 19 millions d’euros est aveugle à la création de valeur. Pourquoi l’État ne compte apparemment pas y toucher ? D’abord parce qu'elle ne pèse "que" 3,8 milliards d’euros de recettes par an ; ensuite elle s���applique aux entreprises ayant les reins solides. Et surtout, elle participe à financer le régime de protection sociale des travailleurs indépendants, intégré depuis le début de l’année au régime général.

En ces temps de débats très houleux sur la réforme des retraites, il serait politiquement très mal venu de toucher aux impôts de production qui financent la sécurité sociale. C’est également le cas pour la taxe sur les salaires (6,2 milliards d’euros), qui représente la troisième plus importante recette du régime général et du fonds de solidarité vieillesse après les cotisations et la CSG ; et même du forfait social (5,7 milliards d’euros) qui abonde historiquement les plans d'épargne entreprise (PEE, PEI) et les plans d'épargne retraite collectifs (PERCO).

La grande réforme fiscale oubliée...

Mais soyons clairs : "baisser des impôts de production est plutôt une bonne idée", estime Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). En revanche, "une telle politique doit s’accompagner d’une grande réforme fiscale", ajoute-t-il. Par exemple, si l’objectif affiché est de supprimer la fiscalité qui taxe "indépendamment de la profitabilité des entreprises" pour reprendre les mots de Jean Castex, pourquoi dès lors ne pas compenser en fiscalisant davantage les bénéfices ? Las, il n’en a jamais été question : le gouvernement a confirmé la baisse de l’impôt sur les sociétés pour 2021 et 2022. In fine, ces nouvelles baisses viennent s'ajouter, sans grande cohérence, à la liste de mesures venant éroder la base des recettes fiscales récurrentes de l'Etat : suppression de la taxe d'habitation et baisse de la fiscalité du capital via l'instauration du prélèvement forfaitaire unique et la suppression de l'ISF.

Problème, "les baisses d’impôts de production sont des mesures structurelles de compétitivité vis-à-vis des autres pays", rappelle Mathieu Plane. Par conséquent, "il va falloir trouver de nouvelles ressources pour financer ce nouveau déficit", explique-t-il. Et "il y a fort à parier que ces baisses d’impôts seront supportées par une baisse des dépenses publiques", craint Mathieu Plane. Et l’Etat de se délaisser encore davantage de ses prérogatives économiques et sociales.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne