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Covid-19 : avec le recul, le développement des vaccins est-il allé trop vite ?

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Par Johanne Montay

"Les vaccins ont été conçus trop vite". Cette phrase, induisant de la méfiance, combien de fois ne l’a-t-on pas entendue durant ces deux années écoulées de pandémie ? Elle a nécessité bien des explications, des vérifications, de la pédagogie.

Aujourd’hui, Catherine Legrand et Sandy Tubeuf, un duo d’économistes de l’UCLouvain, ont pris du recul pour répondre à cette question dans la revue Regards économiques : le développement des vaccins anti-Covid-19 est-il allé trop vite ? Spoiler : il a été très rapide, mais il est difficile d’affirmer que la recherche et le développement sont allés trop vite. Toutefois, il serait pertinent, pour les auteurs, de tirer les leçons de cette rapidité sur les possibilités d’accélérer la recherche médicale dans d’autres domaines que le Covid-19.

Catherine Legrand et Sandy Tubeuf (UCLouvain) remettent d’abord les vaccins contre le Covid-19 dans le contexte de la recherche et développement (R&D) dans le champ médical.

Comment ça se passe d’habitude ?

Comment les firmes élaborent-elles un nouveau traitement médical ? Il faut prouver que le traitement fonctionne ou, du moins, qu'il fonctionne mieux qu’un traitement existant. Il faut aussi prouver que c’est "à cause" de ce traitement que les patients vont mieux (et non parce qu’ils sont en meilleure santé, par exemple, que le groupe "contrôle").

Il faut minimiser les biais qui viendraient fausser l’interprétation des résultats. Il est donc essentiel de réaliser une étude sur un échantillon représentatif, de taille suffisante, et séparé en deux groupes : l’un qui reçoit le traitement expérimental, et l’autre, le traitement de contrôle.

Les deux groupes de patients doivent être semblables et, pour éviter tout biais supplémentaire, les études sont généralement réalisées "en aveugle" : le patient et l’équipe médicale ne savent pas qui a reçu quel traitement.

Trois étapes

La recherche se déroule toujours en trois étapes : la recherche "préclinique" en laboratoire, la "recherche clinique" (phase d’expérimentation sur des êtres humains) et la commercialisation qui passe par l’approbation du traitement par les autorités.

La phase de "recherche clinique" est en réalité elle-même sous-divisée en trois phases :

- Phase I : la première administration chez des humains ;

- Phase II : elle permet de collecter des informations sur l’activité et la sûreté du traitement ou du vaccin étudié ;

- Phase III : elle inclut un ou plusieurs essais cliniques où l’on compare les effets du traitement expérimental sur le patient aux effets du traitement de référence (si un autre traitement existe déjà) ou du placebo sur la pathologie étudiée.

Comme l’expliquent les auteurs, ce processus est "long, coûteux et incertain". Selon la difficulté de la question de recherche, la difficulté du recrutement des patients, la longueur du traitement et du suivi, les différentes phases peuvent être plus ou moins longues.

L’étude livre des repères intéressants. 13,8% en moyenne, toutes indications confondues : c’est le taux de succès moyen des thérapies en développement depuis l’ouverture d’un essai clinique jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché. Les taux varient selon les difficultés de la recherche : de 3,4% en oncologie (discipline du cancer) à 33,3% pour les vaccins.

La durée médiane entre ces trois étapes varie aussi très fort, rapportent les auteurs : "Sur base des douze médicaments approuvés aux Etats-Unis par la Food and Drug Administration (FDA) en 2008 […], le temps médian de ces trois étapes a été estimé à 7,5 ans avec des durées s’étalant de 4,7 ans à 19,4 ans."

Et la recherche pour les vaccins anti-Covid-19 ? Express ?

Dans le cadre de la recherche médicale pour les vaccins contre le Covid-19, les étapes ont été exactement les mêmes. Seul le rythme pour les franchir a été accéléré. Les recherches précliniques sur les vaccins à ARN messager (Pfizer-BioNtech, Moderna) et à vecteur adénovirus (AstraZeneca) étaient en cours depuis de nombreuses années. Ces vaccins ont fait l’objet de recherches pour d’autres virus comme Ebola ou Zika.

L’autre facteur qui a permis d’aller vite, c’est le recrutement aisé de personnes saines : en quelques semaines, et sur la base des informations livrées par la recherche préclinique, des dizaines de milliers de patients ont été recrutés. Par ailleurs, la phase de suivi était assez courte pour établir la balance bénéfice-risque du vaccin.

Enfin, financièrement et d’un point de vue administratif, tous les efforts ont été concentrés sur cette recherche clinique anti-Covid. Les délais pour obtenir les autorisations de mises sur le marché ont été raccourcis. Les scientifiques ont collaboré massivement. Les Etats (l’Union européenne, les Etats-Unis…) ont investi massivement sur le développement des vaccins et ont préfinancé l’achat de doses, avant même qu’elles soient disponibles.

Tirer les leçons pour la recherche médicale future

La conclusion de l’article ? Il faut tirer les leçons de cette séquence. Elle a prouvé que la recherche médicale pouvait être menée plus rapidement qu’à l’accoutumée. La question se pose : ne pourrait-on pas transposer ces procédures et délais accélérés à d’autres traitements, même si chaque pathologie nécessite son propre timing ?

Ensuite, si le temps de la recherche s’accélère, comment réduire la méfiance consécutive de la population ? En renforçant la connaissance sur le processus de la recherche, sur ce qu’il faut attendre ou non de l’efficacité d’un traitement, en améliorant la culture scientifique et médicale du public…

Le bémol ? "Il est à craindre que cette prouesse médicale a été obtenue au prix d’une priorisation des vaccins anti-Covid-19 au détriment d’autres traitements en cours de recherche et développement", concluent les auteurs. Le recrutement de patients dans les essais cliniques en cours autres que ceux dédiés au Covid-19 durant ces deux dernières années a été perturbé, les essais liés à des maladies pulmonaires aux symptômes similaires ont dû être interrompus.

La rapidité est aussi porteuse d’espoir, pour autant qu’elle puisse être transposée à d’autres médicaments dans le respect des étapes pour en établir les risques et bénéfices, ou du moins faciliter le processus de recherche et développement pour des traitements d’autres pathologies.

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