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Réseaux sociaux

Émeutes en France et réseaux sociaux : vérifier l’âge des utilisateurs et le consentement des parents, "une excellente mesure" selon Axel Legay

Le focus: Axel LEGAY, spécialiste en cybercriminalité

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Par Alain Lechien avec François Heureux et Benoît Feyt

En France une vidéo a mis le feu aux poudres : on y voit un véhicule arrêté à un contrôle routier à Nanterre. Un policier tient le jeune conducteur en joue et tire une balle à bout portant au moment où le véhicule tente de fuir. Nahel, 17 ans, meurt sur le coup. Cette bavure policière documentée par une vidéo a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, déclenchant colère, manifestations et émeutes de jeunes issus de quartiers populaires en France. Une vidéo qui a aussi eu une résonance particulière chez des jeunes habitants du centre de Bruxelles : "C’est triste à dire. Autant il y a eu un décès, autant il y a l’image, le fait, la vidéo qui vient montrer la réalité de ce qu’ils disent depuis des années et des années dans leurs quartiers" explique Fouad El Abbouti, animateur du Centre de Jeunes d’Anderlecht, interrogé par la RTBF. "Ils se sont identifiés à Nahel, ils se sont dit : ‘Ça aurait pu être moi. Je pourrais être tué demain. Donc, j’aimerais bien qu’il y ait une vidéo, quelqu’un qui filme pour qu’on puisse contredire la première version des policiers, qui venaient de dire qu’ils étaient en légitime défense.’ Ils se sont dit : ‘Il s’appelle Nahel, il s’est appelé Adil à Bruxelles’. C’est exactement la même chose, sauf qu’Adil n’a pas de vidéo".

Adil, c’est un jeune de 19 ans qui est décédé à Bruxelles en avril 2020, après avoir percuté en scooter un véhicule de police au terme d’une longue course-poursuite. En plein confinement, il avait lui aussi tenté de fuir un contrôle policier. Une affaire qu’est venue réveiller la vidéo du meurtre de Nahel à Nanterre, poursuit Fouad El Abbouti : "Au-delà même de la vidéo, c’est le fait qu’il y a eu un mensonge et que la vidéo est venue contredire le mensonge du policier. Je ne sais pas si on se rend compte, mais s’il n’y avait pas eu cette vidéo, le policier n’aurait jamais été condamné. Et aujourd’hui, c’est bête à dire, mais heureusement qu’il existe le smartphone ". Cette vidéo a été vue sur les réseaux sociaux, cela veut dire que pour eux, les réseaux sociaux ont valeur de vérité, " et que les réseaux sociaux ont valeur de source d’informations".

En France, la colère déclenchée par la mort de Nahel s’est muée en violence envers des élus, des bâtiments publics, mais aussi en pillages de magasins de marque ; des pillages que les jeunes émeutiers ont eux-mêmes filmés. Ces vidéos ont été largement partagées sur les réseaux sociaux et elles ont trouvé un écho à Bruxelles, où quelques groupes de jeunes ont vandalisé des véhicules, du mobilier urbain et des magasins. Pour Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles, il est clair que ce phénomène a été importé via les réseaux sociaux : "C’est clair qu’il y a eu des appels ici, qu’on a voulu dire : ‘Voilà, ça se passe en France, il faut qu’on montre aussi qu’on peut le faire’. C’est vraiment ce qui tourne aujourd’hui sur Telegram, sur Snapchat, c’est tout ce qui s’est passé en France. Et il y a un effet qu’on appelle copycat, donc de copier un peu ce qui est fait. Certains ont l’impression d’être dans un jeu vidéo. Maintenant, il y a des choses qui sont très positives dans les réseaux sociaux. Moi, j’ai vu, pendant le Covid, les réseaux sociaux se mobiliser pour distribuer de la nourriture aux personnes qui en avaient le plus besoin et d’avoir des collectifs de jeunes qui se mobilisaient dans les Marolles, par exemple, ou dans le quartier Chicago pour récolter de la nourriture et des dons alimentaires. Il ne faut pas rejeter tous les réseaux sociaux en disant que tout est négatif, comme je l’entends aussi parfois. Mais il y a un côté qui doit être contrôlé, comme dans toute société. C’est une question d’équilibre".

Alors, capables du pire comme du meilleur, les réseaux sociaux sont-ils vraiment plus dangereux que les médias dits traditionnels ? Pour certains spécialistes du domaine, le danger serait surtout de se tromper de coupable, selon Victor Wiard, chercheur en sciences de l’information à l’Université de Saint Louis – Bruxelles : "Les problèmes ne viennent pas des réseaux sociaux en eux-mêmes. Je pense que ce sont des problèmes sociétaux que les réseaux sociaux peuvent permettre de visibiliser et d’exacerber, mais ce ne sont pas des problèmes qui sont créés par les réseaux sociaux en eux-mêmes. Je pense que sans réseaux sociaux, il y aurait eu des émeutes. D’ailleurs, on en voit partout. Pour prendre un exemple pas si lointain de nous à Nanterre, ce ne sont pas les auditoires qui sont responsables de mai 68. Et ici, je ne pense pas que ce soient les réseaux sociaux qui soient responsables du fait que les jeunes aillent dans la rue".

Selon Axel Legay, professeur à l’École polytechnique de Louvain, spécialiste en cybercriminalité, sans réseaux sociaux, "il y aurait probablement eu des émeutes, mais de cette ampleur et cette propagation, permettez-moi d’en douter. Ce qui est embêtant avec ces vidéos, c’est qu’on n’en voit qu’une partie. On sélectionne ce qui est envoyé sur les réseaux sociaux. Dans un reportage il est dit que c’est la vidéo qui avait permis de donner une autre version que celle de la police. Là aussi, mettons un bémol parce que la vidéo qui va circuler sur les réseaux sociaux ne montre aussi qu’une partie de la vérité. Et donc, je suis assez choqué d’entendre qu’on veut utiliser les réseaux sociaux pour contrer l’ordre public, qui est important dans une démocratie. Je ne partage pas cet avis", explique-t-il, interrogé sur La Première.

Ceux qui diffusent cette vidéo pensent que c’est la vérité, mais Axel Legay précise : "Sur la vidéo, le jeune homme arrive, il y a d’abord une discussion avec le policier, il part et le policier tire. La vidéo qui circule, c’est la vidéo du moment du tir, qui est évidemment la partie émotionnelle. Toute la partie avant n’est pas montrée pour plusieurs raisons : peut-être parce que des choses contraires se sont passées à ce moment-là, mais aussi et surtout parce que ce serait trop long pour circuler sur les vidéos TikTok et autres. Donc, on montre vraiment l’événement cristallisant sans montrer le contexte, et c’est ça le grand problème actuel des réseaux sociaux. C’est-à-dire qu’on réagit à la seconde, à la minute, mais on ne regarde jamais le contexte. Et à l’heure actuelle, il faut être très clair, c’est ce qui empêche nos politiques d’avoir une vision à long terme, par exemple. On ne sait plus rien faire sans avoir les réseaux sociaux qui, toutes les secondes, nous contrôlent et nous montrent cinq secondes de vérité".

Le président français Emmanuel Macron envisage la possibilité de couper les réseaux sociaux quand les choses s’emballent. Ce serait une mesure efficace ? Ne serait-ce pas antidémocratique ?

Axel Legay répond : "Je me suis longtemps posé la question parce que j’aime voir circuler l’information, mais les réseaux sociaux en sont arrivés à un tel point de contrôle de notre vie quotidienne que je vais être d’accord avec monsieur Macron, et je ne suis pourtant pas souvent aligné avec lui. Ces réseaux sociaux qui amplifient ces violences, qui propagent l’information avec ces vidéos, ces algorithmes de recommandation sur TikTok… Vous savez que TikTok, lors de son démarrage lors des émeutes, vous suggérait les places, les vidéos, etc. Quand les choses vont aussi mal qu’elles l’ont été ce week-end, quand vous avez un maire qui reçoit une voiture bélier en feu, oui, on coupe à ce moment-là. Et ce n’est pas antidémocratique que de couper une heure ou deux le temps que ça se calme. Ce qui serait antidémocratique, c’est de couper tout le temps et de ne plus jamais pouvoir s’exprimer".

Pour Axel Legay, vérifier l’âge des utilisateurs et le consentement des parents quand ils ont moins de 15 ans, "c’est une excellente mesure, ça responsabilise les parents. Et allons plus loin, que les parents qui ont laissé leurs enfants propager ce genre de vidéos soient pénalement responsables des actions de leurs enfants. C’est assez normal. Vous êtes censé éduquer vos enfants, vous donnez des réseaux sociaux à vos enfants et vous les laissez tout faire et n’importe quoi, et vous dites : ‘Ce n’est pas de ma faute, il a utilisé les réseaux sociaux’. C’est extrêmement dangereux de se comporter comme ça. C’est un manque d’éducation des parents et je pense que monsieur Macron a tout à fait raison de demander que les moins de 15 ans soient contrôlés par leurs parents. Tout comme je pense qu’en Belgique, vous savez que le secrétaire d’État demande qu’on s’identifie sur les réseaux sociaux, ce qui ne vous empêchera pas d’avoir un pseudonyme, mais qu’on sache à un moment donné si vous insultez, si vous harcelez sur les réseaux sociaux, qu’on puisse vous retrouver, que vous ne puissiez pas agir impunément et détruire la vie d’autres personnes. Ça me semble normal. Si vous attaquez quelqu’un en rue, si vous insultez quelqu’un en rue, vous êtes puni. Pourquoi pourriez-vous utiliser les réseaux sociaux sans l’être ?"

Axel Legay
Axel Legay © RTBF

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