En France une vidéo a mis le feu aux poudres : on y voit un véhicule arrêté à un contrôle routier à Nanterre. Un policier tient le jeune conducteur en joue et tire une balle à bout portant au moment où le véhicule tente de fuir. Nahel, 17 ans, meurt sur le coup. Cette bavure policière documentée par une vidéo a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, déclenchant colère, manifestations et émeutes de jeunes issus de quartiers populaires en France. Une vidéo qui a aussi eu une résonance particulière chez des jeunes habitants du centre de Bruxelles : "C’est triste à dire. Autant il y a eu un décès, autant il y a l’image, le fait, la vidéo qui vient montrer la réalité de ce qu’ils disent depuis des années et des années dans leurs quartiers" explique Fouad El Abbouti, animateur du Centre de Jeunes d’Anderlecht, interrogé par la RTBF. "Ils se sont identifiés à Nahel, ils se sont dit : ‘Ça aurait pu être moi. Je pourrais être tué demain. Donc, j’aimerais bien qu’il y ait une vidéo, quelqu’un qui filme pour qu’on puisse contredire la première version des policiers, qui venaient de dire qu’ils étaient en légitime défense.’ Ils se sont dit : ‘Il s’appelle Nahel, il s’est appelé Adil à Bruxelles’. C’est exactement la même chose, sauf qu’Adil n’a pas de vidéo".
Adil, c’est un jeune de 19 ans qui est décédé à Bruxelles en avril 2020, après avoir percuté en scooter un véhicule de police au terme d’une longue course-poursuite. En plein confinement, il avait lui aussi tenté de fuir un contrôle policier. Une affaire qu’est venue réveiller la vidéo du meurtre de Nahel à Nanterre, poursuit Fouad El Abbouti : "Au-delà même de la vidéo, c’est le fait qu’il y a eu un mensonge et que la vidéo est venue contredire le mensonge du policier. Je ne sais pas si on se rend compte, mais s’il n’y avait pas eu cette vidéo, le policier n’aurait jamais été condamné. Et aujourd’hui, c’est bête à dire, mais heureusement qu’il existe le smartphone ". Cette vidéo a été vue sur les réseaux sociaux, cela veut dire que pour eux, les réseaux sociaux ont valeur de vérité, " et que les réseaux sociaux ont valeur de source d’informations".
En France, la colère déclenchée par la mort de Nahel s’est muée en violence envers des élus, des bâtiments publics, mais aussi en pillages de magasins de marque ; des pillages que les jeunes émeutiers ont eux-mêmes filmés. Ces vidéos ont été largement partagées sur les réseaux sociaux et elles ont trouvé un écho à Bruxelles, où quelques groupes de jeunes ont vandalisé des véhicules, du mobilier urbain et des magasins. Pour Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles, il est clair que ce phénomène a été importé via les réseaux sociaux : "C’est clair qu’il y a eu des appels ici, qu’on a voulu dire : ‘Voilà, ça se passe en France, il faut qu’on montre aussi qu’on peut le faire’. C’est vraiment ce qui tourne aujourd’hui sur Telegram, sur Snapchat, c’est tout ce qui s’est passé en France. Et il y a un effet qu’on appelle copycat, donc de copier un peu ce qui est fait. Certains ont l’impression d’être dans un jeu vidéo. Maintenant, il y a des choses qui sont très positives dans les réseaux sociaux. Moi, j’ai vu, pendant le Covid, les réseaux sociaux se mobiliser pour distribuer de la nourriture aux personnes qui en avaient le plus besoin et d’avoir des collectifs de jeunes qui se mobilisaient dans les Marolles, par exemple, ou dans le quartier Chicago pour récolter de la nourriture et des dons alimentaires. Il ne faut pas rejeter tous les réseaux sociaux en disant que tout est négatif, comme je l’entends aussi parfois. Mais il y a un côté qui doit être contrôlé, comme dans toute société. C’est une question d’équilibre".
Alors, capables du pire comme du meilleur, les réseaux sociaux sont-ils vraiment plus dangereux que les médias dits traditionnels ? Pour certains spécialistes du domaine, le danger serait surtout de se tromper de coupable, selon Victor Wiard, chercheur en sciences de l’information à l’Université de Saint Louis – Bruxelles : "Les problèmes ne viennent pas des réseaux sociaux en eux-mêmes. Je pense que ce sont des problèmes sociétaux que les réseaux sociaux peuvent permettre de visibiliser et d’exacerber, mais ce ne sont pas des problèmes qui sont créés par les réseaux sociaux en eux-mêmes. Je pense que sans réseaux sociaux, il y aurait eu des émeutes. D’ailleurs, on en voit partout. Pour prendre un exemple pas si lointain de nous à Nanterre, ce ne sont pas les auditoires qui sont responsables de mai 68. Et ici, je ne pense pas que ce soient les réseaux sociaux qui soient responsables du fait que les jeunes aillent dans la rue".