Environnement

Faut-il arrêter d’avoir des enfants pour sauver la planète ?

Faut-il arrêter d’avoir des enfants pour sauver la planète ?

© Getty

Temps de lecture
Par Anne Poncelet, avec la rédaction de Déclic

Le 15 novembre, nous franchirons le cap symbolique des 8 milliards de terriensEn seulement deux siècles, la population mondiale a été multipliée par huit.

Et ce n’est pas près de s’arrêter puisque, selon les projections de l’ONU, nous devrions être 10 milliards en 2060 ; c’est à ce moment-là que les chiffres devraient commencer à se stabiliser. La courbe démographique a forcément un impact sur l’environnement.

Alors faut-il arrêter de faire des enfants ?

Entre crise sanitaire, crise énergétique, climat en état d’urgence, le monde de demain comprend sa part d’anxiété et d’incertitude. L’éco-anxiété peut amener certain.e.s à renoncer à avoir des enfants, même si ce choix résulte souvent de multiples facteurs personnels.

L’éco-anxiété est notamment alimentée par un chiffre, publié il y a cinq ans par la revue scientifique Environnemental Research Letters, selon lequel un enfant représente un coût climatique de 60 tonnes de CO2 par an.

Emmanuel Pont est ingénieur et auteur du livre "Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?". Il est également l’auteur d’un blog "écosophique et démographique".

"Ce qui m’a étonné lors de mon enquête, commente Emmanuel Pont, c’est le nombre de gens qui considèrent ce sujet de la population comme Le grand enjeu de l’environnement et à quel point ce discours est parfois simpliste, surtout qu’il repousse le problème dans le temps. Plutôt que de se poser aujourd’hui les questions qui fâchent."

Même constat pour Bruno Masquelier, démographe et professeur à l’UCLouvain : "la vraie question, c’est la question du mode de vie et pas du nombre."

60 tonnes de CO2 par an et par enfant, un chiffre à (beaucoup) relativiser

L’ingénieur et le démographe se rejoignent sur le constat que, 60 tonnes de CO2, c’est un chiffre qui ne tient pas la route.

Pour Emmanuel Pont, "il faut considérer cela comme un exercice purement théorique. C’est un chiffre gigantesque, c’est 6 fois l’empreinte carbone du français moyen. Comment un enfant peut-il produire les émissions de 6 personnes ? Ce calcul n’a rien à voir avec des émissions à l’instant T, c’est un impact futur de votre descendance future et hypothétique jusqu’à la fin des temps."

C’est un calcul biaisé

Le calcul de 2017 considère en effet que nous sommes responsables de l’émission de CO2 de notre descendance, chaque parent serait responsable de la moitié des émissions de ses enfants, puis de la moitié de la moitié pour la génération suivante et ainsi de suite.

"C’est un calcul biaisé, appuie Bruno Masquelier, démographe à l’UCLouvain. Il réapparaît régulièrement parce qu’il est frappant mais il est erroné ; il mélange des pommes et des poires. Si vous renoncez par exemple à un aller-retour à New-York cette année, vous économisez 1,7 tonne de CO2, maintenant. En revanche, si dans le calcul, j’intègre le coût carbone de mon enfant, et de l’enfant de mon enfant, je mélange aujourd’hui et demain, jusqu’à l’infini. Et on compte les choses plusieurs fois."

Les auteurs de l’étude de 2017 ont depuis rétropédalé sur ce calcul, étalé sur plusieurs générations.

Loading...

Chaque enfant naît avec un "bagage carbone" mais…

Emmanuel Pont propose un autre calcul : "sans la descendance hypothétique et en comptant une réduction des émissions qu’on doit faire de toute façon, j’arrive à un chiffre autour d’une tonne par an et par enfant ; donc c’est beaucoup moins. Et c’est deux fois moins qu’une voiture."

"Chaque enfant a un impact écologique, c’est évident, poursuit Bruno Masquelier. Dès le moment où il naît, il a un bagage carbone (les soins, l’hôpital etc.)."

Quant au calcul revu largement à la baisse par Emmanuel Pont ? "On peut discuter, est ce que c’est deux ou trois tonnes, mais ça reste des proportions en lien avec : je me passe de ma voiture thermique, j’économise déjà une tonne et demi. Je ne fais pas ce voyage transatlantique, j’économise deux tonnes. Je modifie mon régime alimentaire trois fois par semaine, j’économise aussi.

Tous ces petits gestes, qui demandent des efforts, reprennent alors leur importance."​​​​

Un bon à valoir pour polluer ?

Ce calcul, plus optimiste, ne nous exonère en rien d’efforts urgents et importants en matière de réduction de l’empreinte carbone. Au contraire…

Car il ne faudrait pas que ce constat plus positif, soit considéré comme un "bon à polluer. "Non, ce bon à polluer est dans l’autre sens, insiste Bruno Masquelier. Peu de gens renoncent réellement à la parentalité pour des raisons uniquement climatiques ; le danger serait de se dédouaner et de se dire : j’ai maîtrisé ma fécondité, je peux donc prendre ce vol vers New York qui va me coûter mon bilan carbone annuel."

Un enfant, ce n’est pas qu’un bilan carbone

Cette peur qui joue sur la démographie, "ce n’est pas forcément un bon levier, insiste Emmanuel Pont. C’est aussi un sujet facilement glissant et toxique.

Notre participation au monde ne se limite pas à notre empreinte carbone, c’est un calcul qui rejette la responsabilité sur un choix personnel alors qu’elle dépend aussi de choix politiques, de société.

Ça pose aussi des questions philosophiques. Si vous avez des enfants, j’espère que vous ne les voyez pas uniquement comme des bilans carbone sur pattes."

Loading...

La vraie question, c’est la question du mode de vie et pas du nombre

La morale de l’histoire ? "C’est qu’on ne doit pas se contraindre à ne pas faire des enfants pour de motifs écologiques, si on arrive à modifier notre mode de vie pour le rendre soutenable, d’autant plus qu’en Belgique, on est déjà dans un contexte de fécondité faible, analyse Bruno Masquelier. C’est triste de se priver de faire un enfant si on est prêt à faire ces efforts. Et puis, il y a aussi cette question : qu’est ce qui passe dans un monde où personne ne fait des enfants ? Qui va se soucier de l’avenir de la planète ? La vraie question, c’est la question du mode de vie et pas du nombre."

Inscrivez-vous à la newsletter Tendance

Retrouvez l’essentiel de nos thématiques Vie Pratique, Santé et Bien-être,Sciences et Technologie, Environnement et nature dans cette newsletter au plus proche de vos préoccupations et des tendances du moment.

Tous les sujets de l'article

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous