Belgique

Morts animales ou vies humaines : bientôt la fin des animaux de laboratoire ?

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Par Sophie Mergen

C'est une pratique de plus en plus contestée. Ici ou à l'étranger, l'expérimentation animale est pointée du doigt, décriée, dénoncée. "Souffrance inutile", "maltraitance volontaire", "chercheurs barbares" : les accusations sont lourdes et nombreuses. Face au poids des militants en faveur du bien-être animal, le monde politique prend des mesures.  

1 million d'euros par an. C'est le budget débloqué par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour le développement de méthodes d'expérimentation alternatives. Les régions y ajoutent un complément de 560 000 euros. "Notre objectif à terme est la suppression de l'expérimentation sur les animaux" avance la Ministre Valérie Glatigny (MR). "Mais d'abord, il faut développer des alternatives. Nous avons une obligation de moyens pour faire le maximum pour réduire le nombre d'animaux utilisés". 

Une bioimprimante plutôt que des animaux

Derrière les portes d'un exigu laboratoire de l'UCLouvain, nous découvrons l'une de ces alternatives. Une bioimprimante 3D, capable de reproduire couche par couche des cellules vivantes. "Je mets de l'encre dans la cartouche, je la pose ici pour contrôler la température" lance Cristina Belda Marín, docteure et chercheuse à l'UCLouvain. "On peut ajouter des cellules dans cette encre, afin de mimer les conditions du corps humain" détaille-t-elle. 

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Une technologie qui permet ainsi d'imprimer des cellules qui imitent en trois dimensions les tissus humains. "Cette structure va permettre de tester des médicaments, ou de comprendre par exemple le comportement d'une tumeur sous l'action de certains stimuli extérieurs" explique Karine Glinel, professeure à l'Ecole polytechnique de Louvain. Objectif : réduire de 30 à 50% le nombre d'expériences sur des animaux. 

Ces méthodes ne vont pas permettre de supprimer l'expérimentation animale mais de la réduire

Ces imprimantes hautement technologiques ont néanmoins un coût conséquent : 200 000 euros par machine. "Cela va permettre de réduire fortement le nombre d'animaux de laboratoire. Si par exemple, une firme pharmaceutique veut tester 2000 composés, elle pourra les tester sur des molécules bioimprimées et puis identifier les dix molécules les plus potentielles pour ensuite les tester sur des animaux. On ne va donc pas vers une suppression de l'expérimentation animale mais vers une réduction importante grâce à ces méthodes alternatives" explique Christophe Pierreux, professeur en Sciences de la Santé à l'Institut De Duve (UCLouvain). 

Pr Christophe Pierreux, professeur à l'UCLouvain

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"L'étude sur un organisme vivant reste une étape essentielle"

Si ces méthodes alternatives sont porteuses pour les recherches sur la peau ou sur certaines formes de cancer, elles ne sont pas pour autant la panacée. Pour toute une série de pathologies, "il n'y a pas d'alternative".

"On peut étudier beaucoup de choses in vitro, mais la chose qu'on n'arrivera pas à étudier avec des organes isolés dans une boîte de Petri, c'est leur interaction avec d'autres organes au sein d'un individu" explique Sabine Costagliola, directrice de recherche au FNRS et à l'Institut de Recherche Interdisciplinaire en Biologie Humaine et Moléculaire (IRIBHM) de l'ULB.

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"Pour le cancer par exemple, dans une boîte de Petri, on ne pourra pas comprendre pourquoi une tumeur fait des métastases qui se nichent dans les os ou dans les poumons. Pour cela, il faut bel et bien les étudier dans un organisme entier".

C'est comme un chef d'orchestre qui ne voudrait jouer qu'avec des violons ou des pianos. Il n'y aurait jamais de symphonie à l'arrivée

Dr Sabine Costagliola, directrice de recherche au FNRS

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Sur la table d'opération, un cochon 

Pour comprendre, nous pénétrons dans un autre laboratoire, dans les sous-sols de l'ULB cette fois. Bistouris, échographe, tuyaux : le labo ressemble comme deux gouttes d'eau à une salle d'opération. Mais sur la table, pas d'humain : un cochon. Derrière leurs instruments, une équipe de chercheurs sont en passe de lui induire un arrêt cardiaque, pour ensuite le réanimer avec un système de circulation extracorporelle. "Le but est de tester l'impact de ces machines sur la récupération du cerveau" dévoile Antoine Herpain, chercheur au laboratoire expérimental de soins intensifs de l'ULB. 

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Cette expérience doit permettre directement d'améliorer la prise en charge de patients en soins intensifs, à quelques encâblures de là, à l'hôpital Erasme. "On mime des pathologies sévères, avec un haut taux de mortalité, comme un infarctus" explique Antoine Herpain. "Ce type de maladies mettent une interaction en jeu entre les organes qui composent le corps. Tout cela ne peut pas être remplacé par quelque chose d'isolé comme des cellules observées avec un microscope". 

Dr Antoine Herpain, chercheur à l'ULB

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"Ce qu'on observe chez nos malades et qui nous interpelle, on le reproduit ici en laboratoire. A l'inverse, les trouvailles que l'on fait ici auront une application immédiate chez nos patients" ajoute le chercheur. 

Si on veut continuer à faire progresser la recherche et la qualité des soins, on se doit de continuer l'expérimentation animale

 "Etudier ces maladies là dans le contexte de l'urgence sur nos malades humains serait très compliqué pour des raisons logistiques et éthiques évidentes. Les gros mammifères comme le cochon sont d'excellents modèles car très proches de l'humain". Ici, on nous assure que le bien-être animal est la priorité n°1. "L'animal est anesthésié, des antidouleurs lui sont administrés. Tout est fait pour réduire la douleur". 

Plus de 437 000 animaux de laboratoire

Reste que la plupart du temps, ces animaux de laboratoire sont euthanasiés après l'expérience. En Belgique, en 2020, on comptabilisait plus de 437 000 animaux utilisés à des fins scientifiques. Un nombre qui tend à diminuer depuis quelques années. En 2014, on dépassait en effet les 660 000 animaux de laboratoire. 

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Depuis 2009, les tests sur animaux sont interdits dans le secteur cosmétique dans l'Union Européenne. De plus en plus d'activistes militent pour étendre cette interdiction. De leur côté, les chercheurs que nous avons rencontrés rappellent que toute demande d'expérimentation animale doit passer devant une commission d'éthique. "On ne peut opter pour des tests sur animaux que s'il n'y a aucune autre alternative". Ces chercheurs insistent : des vies humaines sont en jeu. "Seriez-vous prêt à recevoir un médicament qui n'a jamais été testé sur un être vivant? Seriez-vous prêt à ce que votre enfant en soins intensifs reçoive une molécule qui n'a jamais été testée sur un être vivant? C'est ça la question à poser !" conclut Sabine Costagliola. 

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