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Perturbations dans le trafic aérien cet été ? "Il y a beaucoup de mal-être et le mal-être entraîne beaucoup de conflits"

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Par Miguel Allo avec agences

Après deux ans de pandémie de Covid-19 et la quasi-mise à l’arrêt du trafic aérien en Europe, l’actualité, sociale entre autres, des compagnies et des aéroports ne manque pas. En avril dernier, les prévisions du contrôleur aérien Eurocontrol tablaient sur un nombre de vols dans l’espace aérien, d’ici à l’été, proche de 90% du niveau de 2019, avant la pandémie de coronavirus.

Les voyageurs sont de retour donc. Mais du côté du personnel, après avoir mené des plans de départ à tour de bras pour traverser la pandémie, les entreprises du secteur rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés pour recruter, accentuant la pression sur des salariés qui peinent à suivre la cadence.

"On s’y attendait. Depuis le début de la crise de 2020, on avait dit que la reprise serait catastrophique", explique Didier Lebbe, secrétaire permanent CNE. Et il ajoute que tout ce qui a été "imposé sous la contrainte" (de nouvelles conditions de travail, ndlr) pendant la crise sanitaire "ne fonctionne pas". "Il y a beaucoup de membres du personnel qui sont partis et pour recruter, c’est difficile puisque le métier est de moins en moins attractif". Toujours selon la CNE, le personnel restant est actuellement sous pression et la fatigue est déjà présente alors que la période estivale est à nos portes.

Du côté de l’ETF (la Fédération européenne du Transport), on parle d’un problème structurel très grave dans le secteur aérien. "Et je ne pense pas que l’on puisse régler ces problèmes avec des mesures à court terme", constate Livia Spera, secrétaire général de l’ETF. Cette spécialiste estime que les conditions de travail dans tout le secteur se sont dégradées ces dernières décennies avec "la libéralisation, le modèle de low cost qui s’est répandu aux lignes traditionnelles". Au final, dit-elle, les métiers sont devenus plus pénibles, moins bien payés et moins attractifs qu’il y a 20 ans.

Quand la crise sanitaire est arrivée "Nous, on avait dit : il ne faut pas licencier", ajoute Livia Spera. "D’autant plus que beaucoup d’entreprises dans le secteur aérien ont bénéficié d’aides d’Etat et de subsides pour faire face à la crise. On avait dit : il faut lier les aides et les subsides à l’emploi".

La situation actuelle

© getty images

En Belgique, l’actualité sociale du secteur aérien ne manque pas. A commencer par Brussels Airlines (groupe Lufthansa) qui a fait savoir cette semaine que 148 vols allaient être supprimés cet été afin de réduire la charge de travail sur le personnel. Ce vendredi, les pilotes de Brussels Airlines ont déposé un préavis de grève à durée illimitée. On ignore encore quand aura lieu la grève, s’il est décidé d’en organiser une. Elle pourrait avoir lieu à la fin du mois de juin ou au début juillet et durer trois jours. Chez Ryanair, des vols ont déjà été annulés au mois d’avril en raison d’une grève des membres du personnel de cabine. Autre exemple récent, chez le bagagiste Aviapartner, une grève spontanée du personnel a eu lieu le 2 juin dernier.

Chez nos voisins, la situation n’est pas simple non plus. Fin mars, les aéroports allemands ont été perturbés par la grève des agents de sécurité, provoquant une centaine d’annulations et de nombreuses perturbations. Toujours en Allemagne, le géant allemand du transport aérien Lufthansa a annoncé ce jeudi supprimer quelque 900 vols en juillet et sa filiale low cost Eurowings s’est également dit, dans le même communiqué, contrainte de supprimer "plusieurs centaines de vols" en juillet. Tout cela dans un contexte de pénurie de personnel frappant l’ensemble du secteur aérien européen.

En France, environ un quart des vols prévus ce jeudi matin à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle ont été annulés en raison d’un mouvement de grève des personnels de l’aéroport qui demandent des hausses de salaire.

De l’autre côté de la Manche, au Royaume-Uni, la situation n’est pas meilleure et apporte aussi son lot de perturbations. Le secteur de l’aviation fait face à une forte pénurie d’employés, après avoir licencié des milliers de personnes au plus fort de la pandémie de Covid-19. Il peine à présent à recruter et faire face à une forte remontée de la demande de voyages maintenant que les restrictions sanitaires ont été levées. Le principal syndicat britannique, Unite, a également organisé une grève de cinq jours en avril chez les bagagistes de l’aéroport de Luton et menace d’en faire de même chez British Airways cet été. Le quotidien espagnol El Pais notait il y a quelques jours un autre problème celui des contrôles plus stricts pour les voyageurs britanniques et cela en raison du Brexit. Cela provoque, précise le quotidien, depuis des semaines de longues files dans les aéroports de Londres, Bruxelles ou Amsterdam.

Amsterdamles dernières semaines se sont révélées souvent chaotiques à l’aéroport de Schiphol. Le secteur aérien a là aussi procédé à des licenciements massifs de personnel pendant la pandémie de coronavirus, mais maintenant que la demande de voyages en avion reprend, il a du mal à trouver suffisamment de personnel. La semaine dernière, les files s’étendaient jusqu’à l’extérieur du hall des départs, l’aéroport qualifiant lui-même la situation de "chargée mais gérable".

Même chose chez Volotea ou Easyjet. Ces mouvements ont engendré l’annulation de 360 vols en Italie selon le responsable transport de la confédération syndicale UIL Claudio Tarlazzi, cité par l’agence AGI.

Les perspectives pour cet été

On perçoit donc des situations un peu compliquées partout en Europe. Mais cela aura-t-il des conséquences cet été ? Pour Didier Lebbe, les perspectives sont "très grises, très très sombres".

"A court terme" explique Bart Jourquin, professeur de transport, mobilité et logistique à l’UCLouvain, "des gens ont réservé et les compagnies aériennes se retrouvent dans une situation où il n’y a pas suffisamment de personnel". Une situation que l’on peut d’ailleurs retrouver dans d’autres secteurs, précise-t-il. Ce spécialiste n’a pas de craintes pour les destinations d’affaires ou long courrier, parce que cela reste rentable. Lorsqu’il y a un manque de personnel, ce ne sont pas ces lignes que l’on va supprimer. "Faire voler un vol charter, c’est pas tellement rentable […] Les compagnies attirent les gens avec des prix attractifs, mais elles gagnent peu d’argent sur ces lignes et elles seront les premières impactées"

A l’aéroport national, on est d’abord serein

Au niveau de l’aéroport national, on entrevoit d’abord positivement la période à venir avec un retour de nombreux passagers déjà constaté depuis les vacances de Pâques, mais aussi en juin. On ne s’attend pas à un chaos. Les chiffres des passagers n’atteignent pas encore les chiffres d’avant la crise sanitaire. Pour l’été, l’aéroport table sur 80-85% des chiffres de l’été 2019.

Concernant d’éventuels soucis, Nathalie Pierard, porte-parole de Brussels Airport ne nie pas qu’il pourrait y avoir des files, mais rien de comparable à ce qui a eu lieu à Schiphol ces dernières semaines, précise-t-elle. Et de rappeler l’importance de bien arriver à l’avance à l’aéroport. Deux heures pour un vol au sein de l’espace Shengen et trois heures en dehors. On sait aussi que des journées comme le 30 juin et le 1er juillet, par exemple, sont chargées au niveau des départs…

D’après les deniers chiffres, l’aéroport national dispose encore de pratiquement 640 emplois ouverts (1200 il y a encore peu de temps). Des postes sont encore disponibles notamment dans la sécurité, les bagages, l’IT, administratif, etc. Des actions sont menées pour accélérer l’embauche de travailleuses et travailleurs, mais même avec cela, il faut aussi tenir compte de la formation nécessaire. Cela prend donc du temps. La porte-parole, rappelle aussi que le chômage temporaire lors de la crise a permis de maintenir les postes importants, sans nier des licenciements ou des départs vers d’autres secteurs.

A propos d’éventuelles actions, grèves, etc. Nathalie Pierard, confirme qu’il y a une crainte, rien n’est exclu tout en espérant qu’ils n’y en aient pas. Difficile aussi pour l’aéroport de prévoir les évènements à venir et cela "nous pend un peu au nez" et de rappeler que l’entreprise ne sait pas intervenir dans les discussions actuelles au sein des compagnies aériennes. "Si ce n’est de leur dire que l’on doit tous collaborer pour que l’on puisse tous donner une image positive des vacances […] et pas de les accueillir (après 3 ans) avec une action, une grève, du retard…".

Livia Spera, secrétaire général de l’ETF, (la Fédération européenne du Transport) constate qu’il y a effectivement beaucoup de mouvements sociaux dans le secteur parce que les syndicats sont en colère en voyant comment les compagnies aériennes traitent leur personnel. Et de rappeler que ces mêmes syndicats ont signé des accords, des compromis pour garder l’emploi (baisse de salaires, par exemple). Avec le retour des activités après la crise elle estime que "maintenant, c’est le moment de renégocier ces contrats et les accords collectifs. Il faut revenir en arrière". "Oui, il y a beaucoup de mal-être et le mal-être entraîne beaucoup de conflits".

Dossier de la rédaction

Vers un été compliqué dans les aéroports ?

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JT du 11/06/2022

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