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Omegle, le chat vidéo prisé par les jeunes mais aussi par les prédateurs sexuels: des victimes en Belgique aussi

© Capture d’écran Youtube – RTBF

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Par Anthony Roberfroid avec AFP

Chatroulette avait lancé la tendance à la fin des années 2000 : mettre en relation de parfaits inconnus au travers de conversations vidéos par ordinateur. Concrètement, le site relie aléatoirement deux personnes connectées afin qu’elles puissent discuter via webcam interposée. Chacun à la possibilité de passer à une autre conversation avec une personne différente à tout moment si elle le désire.

Le service avait explosé en popularité en 2010 grâce à ce concept novateur avant de voir l’engouement retomber les années suivantes. Depuis, d’autres sites et services du même type ont émergé et ont dépassé l’original.

En 2019, l’engouement pour ces sites a de nouveau augmenté avec la crise sanitaire et les différents confinements. Seules, enfermées chez elles, de nombreuses personnes ont profité de Bazoocam, Chatrandom, Strangercam ou encore Omegle pour briser l’ennui et la solitude. On estime aujourd’hui en France qu’un million d’utilisateurs se connectent sur ce dernier site chaque mois.

Et c’est justement Omegle qui est aujourd’hui dans le viseur du gouvernement français après la publication d’une enquête par le site Kool Mag, un magazine en ligne de parentalité destiné aux pères. En effet, le site dénonce la présence d’exhibitionnistes d’âge mûr sur cette plateforme très fréquentée par des jeunes.

Voyeurs et exhibitionnistes déjà présents depuis plusieurs années

Le fondateur de Kool Mag, Baptiste des Monstiers, raconte avoir surfé sur le site un mercredi après-midi et y avoir rencontré des dizaines d’enfants et d’adolescents âgés de 9 à 15 ans, à la recherche de nouveaux copains.

Il y a vu aussi, susceptibles d’entrer en contact avec ces enfants, "des dizaines d’hommes qui se masturbent, qui s’exhibent, certains déguisés en femmes portant des sous-vêtements féminins".

À l’époque, les différents services étaient déjà accusés d’être un repaire pour les voyeurs et exhibitionnistes. Passant d’utilisateurs en utilisateurs, il n’était pas rare de tomber sur des inconnus se masturbant face à leur caméra et ce, sans consentement préalable. Le phénomène n’est donc pas nouveau mais il persiste dans le temps et revient sur le devant de la scène alors que la plateforme devient à nouveau de plus en plus populaire.

La présence de voyeurs et exhibitionnistes est donc toujours d’actualité et Adrien Taquet, le secrétaire d’État français chargé de l’Enfance veut enrayer ce phénomène. Ce dernier compte utiliser dans les prochains jours l’article 40 du code de procédure pénale qui impose l’obligation, "pour toute autorité constituée", de signaler au procureur de la République un crime ou délit dont il a connaissance, y compris des faits d’exposition des mineurs à la pornographie et à la pédocriminalité, a indiqué son entourage à l’AFP.

Une plateforme toujours populaire, surtout chez les jeunes générations

Malgré les mauvaises expériences de certains utilisateurs, les services de conversations entre anonymes n’ont pas disparu. Ils ont même repris en popularité ces dernières années grâce à de nombreux influenceurs et youtubeurs.

Ces derniers ont réinvesti les lieux afin de réaliser des "meet-up", des rencontres avec leur communauté au travers de ces plateformes. "De nombreux youtubeurs proposent à leurs fans de leur parler directement sur le site Omegle. En gros : 'je me connecte, venez et avec un peu de chance, on va se croiser'." explique Baptiste des Monstiers, fondateur du site Kool Mag.

Ce sont notamment Squeezie, Michou, InoxTag ou encore Just Riadh, fortement suivis par les jeunes générations sur les réseaux sociaux, qui ont surfé sur la tendance en proposant des rencontres avec leurs abonnés.

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Une expérience qui est souvent agréable lorsque l’on est mis en relation avec son influenceur favori. Mais la recherche des influenceurs peut aussi, à l’inverse, être fortement désagréable puisque l’on peut être redirigé vers des personnes mal intentionnées. "C’est une sorte de grande roue de la fortune sur laquelle on peut rencontrer des dizaines de détraqués et d’exhibitionnistes qui traînent sur le site", accuse Baptiste des Monstiers.

Pour Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), cette situation illustre "le besoin de régulation des réseaux sociaux" et notamment la nécessité de faire vérifier la limite d’âge de 13 ans au lieu de se contenter d’une simple déclaration.

"Les youtubeurs ne devraient pas donner rendez-vous à des jeunes fans sur ce site, c’est comme donner rendez-vous dans un sex-shop ou un site pornographique", a dit à l’AFP M. Rohmer.

"Il y a des comportements pédophiles, exhibitionnistes, des propos inadaptés d’adultes qui se sentent protégés par l’anonymat sur ce site", confirme à l’AFP Samuel Comblez, directeur des opérations du 3018, le numéro national français géré par l’association e-Enfance pour lutter contre le cyberharcèlement.

Reste que de nombreux influenceurs et youtubeurs ont pris conscience des dérives et ont depuis lors arrêté de proposer des rencontres d’abonnés via ces services.

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Des plateformes trop facilement accessibles et mal modérées

De jeunes enfants et adolescents face à des pervers sexuels ? Nul ne peut penser que les plateformes ne l’avaient pas imaginé. Mais font-elles le nécessaire pour protéger la nouvelle génération face à ce danger ?

Dans les "règles de communauté" publiées sur son site en anglais, Omegle affirme que "la nudité, la pornographie et les comportements et contenus sexuellement explicites sont interdits" dans les sections de ses services soumis à modération.

Pourtant, Omegle met tout de même en garde ses utilisateurs : "Les chats vidéos sont modérés mais la modération n’est pas parfaite. Les utilisateurs sont seuls responsables de leur comportement lorsqu’ils utilisent Omegle". Force est de constater que la modération n’est pas suffisante, raison pour laquelle le site demande de confirmer que l’utilisateur a plus de 18 ans ou plus de 13 ans et l’accord de ses parents. Néanmoins, une simple case à cocher suffit pour passer cette protection, sans réelle vérification.

"Ce site nous est signalé depuis plusieurs mois par des jeunes, choqués, qui n’osent pas parler à leurs parents car ils sont allés sur un site interdit aux moins de 13 ans. Ils éprouvent une grande solitude", explique Thomas Rohmer.

"Nous avons été alertés sur des prises de contact de potentiels harceleurs qui incitent les mineurs à les suivre sur d’autres sites où ils subissent cyberharcèlement, tentative de piratage et chantage", ajoute-t-il.

Ces types de faits ont également été constatés en Belgique comme nous l'a indiqué la Computer Crime Unit de la police fédérale.

Sur une période de trois mois, la BBC a tenté à plusieurs reprises de joindre Omegle et son fondateur Leif K. Brooks pour obtenir une réaction face aux ratés de la modération. Ce dernier a déclaré que son site était modéré et que son équipe bloquait les utilisateurs qui "semblent avoir moins de 13 ans". Une résolution du problème qui semble donc ici prise à l’envers, s’attaquant à la mauvaise cible.

"Même si la perfection n’est peut-être pas possible, la modération d’Omegle rend le site beaucoup plus propre, et a également généré des rapports qui ont conduit à l’arrestation et à la poursuite en justice de nombreux prédateurs", a-t-il déclaré, avant de préciser que l’entreprise avait étendu les efforts de surveillance en 2020.

Du côté des géants du web, des actions ont été prises. En 2020, Apple et Google ont retiré l’application mobile d’Omegle de leurs plateformes pour "comportements inappropriés envers les mineurs". Mais le site est toujours disponible sur internet via une page web.

L’Europe s’attaquera bientôt aux contenus de ses plateformes

Face aux contenus illicites présents sur internet, l’Europe compte resserrer la vis. Après le RGPD et le RSA, l’Union Européenne se penche sur le DSA : le "Digital service act". Ce texte de loi imposera de nouvelles règles aux plateformes dont notamment la responsabilité de celles-ci à retirer les contenus illégaux présents sur leurs sites.

"Le DSA devra rendre les plateformes responsables du contenu qui transite par leur portail. Ce texte va forcer les plateformes à faire plus de modération que ce qu’elles ne font déjà", détaille Paul Belleflamme, expert en économie numérique et professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain.

L’ampleur des contraintes fixées par l’UE dépendra de la taille mais aussi du rôle et de l’impact de la plateforme sur internet. Ces règles s’appliqueront aux plateformes qui comptent des usagers dans l’Union européenne, qu’elles y soient ou non établies. Si les plateformes ne respectent pas cette législation, elles risquent des amendes allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires.

Malgré l’effort de l’Union européenne, les entreprises pourraient néanmoins se retrancher derrière ce texte de loi, expliquant qu’elles ont fait des efforts évidents, sans pour autant réussir à tout contrôler vu la difficulté de la tâche. Cela pourrait lancer un débat dont la conclusion pourrait être difficile à établir.

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