Belgique

Revaloriser les salaires et le pouvoir d’achat ? Quelles seraient les pistes envisageables ?

© Gettyimages - Pakin Songmor

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Par Jean-François Noulet

Ce mercredi, les syndicats ont appelé à une mobilisation et à une journée de grève générale. Ils réclament des mesures pour renforcer le pouvoir d’achat. La question de l’augmentation des salaires est aussi au cœur des préoccupations, alors que le dossier de la marge salariale est dans l’impasse. 

Il apparaît clairement qu’il n’y aura pas de marge salariale pour 2023-2024. Quelles sont, dans ce contexte, les pistes qui pourraient être envisagées ?

L’indexation automatique des salaires : harmoniser les moments d’indexation ?

Au même titre que les fonctionnaires et les allocataires sociaux, de nombreux travailleurs ont déjà bénéficié au cours de cette année de plusieurs indexations automatiques des salaires.

Pour d’autres travailleurs, il faut patienter et encaisser les effets de l’inflation en attendant l’indexation. C’est le cas de près de 500.000 travailleurs appartenant à la Commission paritaire 200, répartis dans près de 60.000 entreprises. Pour eux, l’indexation automatique, c’est une fois par an, en début d’année. En janvier prochain, les salaires de ces travailleurs seront indexés en une fois de 10%.

Une première piste pourrait être d’harmoniser les moments où les salaires sont indexés. Selon qu’on soit employé, ouvrier, appartenant à telle ou telle commission paritaire, les moments d’indexation sont différents. Certes, au bout du compte, tout le monde finit par être indexé, mais en cours de chemin, cela génère des différences. Ainsi, Philippe Defeyt, économiste à l’institut pour un développement durable, explique ainsi que les travailleurs qui doivent encore attendre janvier prochain pour être indexés ont perdu du pouvoir d’achat en 2022. "Grosso modo, la perte cumulée de pouvoir d’achat pour quelqu’un dans la Commission paritaire 200 est de 900 euros par an", estime-t-il.

Jean Hindriks, lui, président de l’Economic School of Louvain, de l’UCLouvain, s’interroge sur le calcul de l’inflation qui sous-tend le mécanisme d’indexation. Il évoque ainsi une étude récente publiée aux Pays-Bas selon laquelle, dans ce pays, l’inflation ne serait pas correctement mesurée, faisant une trop grande part au coût de l’énergie des contrats variable. Il n’est pas, pour le moment, en possession d’une réponse pour la Belgique mais, estime-t-il, "l’inflation doit être basée sur le prix réellement pays par les ménages".

L’indexation doit-elle être la même pour tous ?

C’est une autre piste qui pourrait être suivie pour rendre plus supportable le poids de l’indexation des salaires pour les entreprises tout en garantissant une indexation "importante" pour ceux qui en ont le plus besoin.

"L’inflation n’est pas la même pour tout le monde", estime Jean Hindriks, de l’Economic School of Louvain. C’est pour les ménages à bas revenus que l’inflation pèse le plus. "Elle pèse six fois plus que pour un ménage à revenus élevés", estime Jean Hindriks puisque les plus faibles revenus sont plus lourdement touchés par la hausse des prix, en particulier ceux de l’énergie. "Donc, des mesures uniformes du style indexation de l’ensemble des salaires, indépendamment du niveau de salaire ou pour tous les ménages, cela ne me semble pas être quelque chose qui soit justifiable", estime Jean Hindriks.

Plusieurs pistes ont déjà été évoquées pour indexer différemment les salaires des travailleurs.

L’une de ces pistes, c’est celle d’une indexation par rapport à un revenu médian. En gros, en dessous d’un certain niveau de salaire, on indexe plus. Au-dessus, on indexe moins. "On doit oser dire qu’il faut envisager des indexations différenciées", estime Jean Hindriks. "Cela permettrait de surindexer les plus bas revenus et de sous-indexer les plus hauts revenus", ajoute-t-il car, précise-t-il, "on n’a pas les moyens d’indexer tout le monde. On peut prétendre qu’on l’a, mais c’est idéologique. La réalité, c’est qu’on ne l’a pas".

Cette méthode a cependant son revers. "Dans tous les secteurs où il y a des petits salaires, on va voir la masse salariale augmenter plus vite, par exemple dans l’Horeca, les titres-services…" explique Philipe Defeyt, de l’Institut pour un Développement durable.

Une autre piste est parfois évoquée, c’est celle d’une indexation en euros plutôt qu’en pourcentage. "Centen, geen procenten" entend-on au Nord du pays. Il s’agirait d’octroyer une augmentation sous forme de forfait. "Mais quel forfait va-t-on choisir ?" se demande Philippe Defeyt. Prendrait-on pour base le salaire minimum à 1900 euros ? "On dirait qu’on prend 2% du salaire minimum et qu’on donne 36 euros à tout le monde ?", se demande Philippe Defeyt.

L’indexation des barèmes fiscaux

Les barèmes fiscaux, c’est-à-dire les différents seuils à partir desquels on paye un certain pourcentage d’impôt sont indexés une fois par an. "Pour les personnes dont le salaire évolue en cours d’année, le net augmente moins vite que le brut parce que les barèmes fiscaux sont indexés une fois par an", explique Philippe Defeyt qui propose une indexation deux fois par an, en janvier et juillet, par exemple. "Cela veut dire que les gens qui auraient vu leur salaire augmenter entre janvier et juin profiteraient d’un net plus élevé", explique Philippe Defeyt.

Un travail sur la norme salariale

Depuis 1996 et l’adoption de la "Loi relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité", plus souvent appelée Loi sur la compétitivité ou Loi sur la formation des salaires, les augmentations de salaire, hors indexation, négociées tous les deux ans dans le cadre de l’accord interprofessionnel, sont encadrées par une norme salariale. En gros, le Conseil central de l’Economie calcule le pourcentage d’augmentation de salaire qui serait acceptable pour que les entreprises belges restent compétitives par rapport à celles des pays voisins. Cette année, pour la période 2023-2024 du prochain accord interprofessionnel, tout indique que cette marge sera de 0%.

Il y a deux ans déjà, en période Covid, la marge salariale était très mince, 0,4%. Les syndicats avaient plaidé pour qu’on puisse accorder des augmentations plus importantes dans les secteurs qui avaient bien traversé la crise du Covid et avait enregistré des bénéfices. Ils n'avaient pas eu gain de cause. A la place, c’est un système de primes unique qui avait été décidé par le gouvernement. Les secteurs qui pouvaient se le permettre avaient la possibilité d’accorder de 500 euros maximum à leurs travailleurs.

Cette année, avec une norme salariale à 0%, augmenter les salaires hors indexation impliquerait de faire preuve de créativité… Une prime comme après la période Corona ou une participation au bénéfice des entreprises qui peuvent se le permettre resterait une option. "Mais certaines primes ne sont pas soumises à la sécurité sociale et il y a une déperdition de recettes publiques. C’est un choix de société", estime Philippe Defeyt, de l’Institut pour un développement durable.

Pour l’économiste Jean Hindriks, de l’UCLouvain, "Evidemment, il y a des secteurs où il y a des marges, des secteurs qui se portent mieux que d’autres". "Il faut avoir une approche différenciée, on ne peut pas imposer à toutes les entreprises d’augmenter les salaires", ajoute-t-il. "Ou alors", précise-t-il, "il faut des mesures d’accompagnement", pour les entreprises plus fragiles. 

Cela dit, pour les primes que les entreprises ou secteurs les plus en forme seraient autorisées à verser à leurs travailleurs, Jean Hindriks voit "une inégalité de traitement". En effet, "ceux qui ont la chance de travailler dans un secteur qui se porte bien bénéficieraient de primes, alors que d’autres dans un secteur en difficulté, qui ont autant de mérite, n’auraient pas de prime", explique-t-il, suggérant une correction sous forme de "mutualisation de ces primes" pour que "le gouvernement puisse corriger les inégalités de traitement".

La piste d’une réforme de la fiscalité

Augmenter le salaire des travailleurs en passant par la voie fiscale est aussi une option. "De manière urgente, il faut réduire la fiscalité sur les bas salaires", plaide Jean Hindriks, le président de l’Economic School of Louvain. "Pour tous les gens qui ont des salaires à proximité du salaire minimum, il est urgent de réduire cette fiscalité", ajoute-t-il. Pour lui, les bas salaires "sont surtaxés", ce qui leur procure peu d’avantages par rapport à une allocation de chômage. "Quand vous êtes sur des bas salaires, entre une allocation de chômage et un salaire proche du salaire minimum, vous perdez toute une série d’avantages sociaux, vous avez une taxation sur votre revenu brut. Quand vous mettez tout ça ensemble, à la marge, vous vous retrouvez avec un revenu net qui n’augmente que très peu", argumente Jean Hindriks.

Augmenter les bas salaires via la fiscalité, c’est aussi une piste avancée par Philippe Defeyt. On entend souvent parler d’une augmentation de la quotité exemptée d’impôts, c’est-à-dire la première tranche de revenus qui n’est pas imposée. Ce n’est pas la piste privilégiée par Philippe Defeyt car cela ne bénéficierait pas aux petits salaires. "Pour les tout petits salaires, ceux qui crèvent le plus aujourd’hui, par exemple dans la distribution où l’on travaille 24 heures par semaine pour 1200 euros, pour ces personnes, vous pouvez augmenter autant que vous voulez la quotité exemptée d’impôts, elles ne verront pas la différence", argumente Philippe Defeyt. Il explique que passer de 9050 euros (le montant actuel de la quotité exonérée d’impôts) à 12.000 euros comme certains le proposent aujourd’hui ne ferait augmenter les petits salaires que de 61 euros par mois. "Cela bénéficierait surtout aux gros", explique Philippe Defeyt. Il est rejoint par Jean Hindriks pour qui, augmenter la quotité exemptée d’impôts, "est une mesure uniforme pour tous qui profite surtout aux hauts revenus".

A l’augmentation de la quotité exemptée d’impôts, Philippe Defeyt privilégierait un crédit d’impôts. "Pour certaines personnes, le net serait supérieur au revenu imposable", avance Philippe Defeyt. Ce serait en particulier le cas pour les bas salaires.

De son côté, Bruno Colmant avance une autre piste fiscale pour les entreprises qui doivent augmenter les salaires en raison de l’indexation automatique. "Ce serait qu’elles bénéficient d’un bonus fiscal correspondant à cette indexation. Par exemple, l’entreprise qui doit payer 100 euros de plus pour les salaires pourrait déduire fiscalement 150. Donc, elle récupérerait par l’impôt des sociétés l’augmentation des frais de personnel liée à l’index", explique Bruno Colmant, économiste et professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain.

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