"Les journalistes en Europe font face à de multiples menaces", selon une étude européenne

© ERIC LALMAND – BELGA

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Par Myriam Baele

L'"European University Institute" (EUI) a publié ce jeudi son "Media Pluralism Monitor 2020", son monitoring du pluralisme des médias.

C’est la troisième édition d’une vaste étude compilant des données sur les médias et sur le travail des journalistes dans tous les Etats membres de l’Union européenne et dans certains états candidats à l’adhésion.

Ces données relatives à vingt indicateurs sont rassemblées et analysées par une centaine de chercheurs d’universités européennes. En Belgique, c’est un travail qui a été réalisé par la KULeuven.

Le résultat jauge le niveau de plusieurs risques sur les médias et les journalistes en Europe. Il mesure certaines menaces actuelles sur la diversité du paysage médiatique et sur le travail journalistique.

La version 2020 est interpellante à plusieurs égards. Elle confirme les tendances observées dans les deux éditions précédentes et montre que certaines s’accentuent.

De plus en plus de harcèlement

"Les menaces et le harcèlement sont de plus en plus fréquents sur internet et en particulier à l’égard des femmes journalistes. On observe aussi une certaine normalisation des menaces de la part de politiques envers des journalistes, alors qu’ils devraient être ceux qui garantissent aux journalistes, au contraire, un environnement de travail propice", constate Pier Luigi Parcu, directeur du "Center for Media Pluralism and Media Freedom" de l’EUI.

Une virulence problématique, dit-il, puisqu’elle peut "affecter la liberté d’expression des journalistes et la possibilité de poursuivre leur travail sans heurts".

Mais ces pressions ne sont pas exclusivement virtuelles.

Le rapport rappelle que l’Europe a été le théâtre d’assassinats de journalistes ces dernières années, celui de Daphne Caruana Galizia à Malte en 2017, les assassinats de Jan Kuciak and Martina Kušnírová en Slovaquie, de Lyra McKee en Irlande du Nord et de Viktorija Marinova en Bulgarie.

Un modèle économique fragilisé

Aujourd’hui, rappelle le Monitoring, tout le modèle économique des médias traditionnel a été fragilisé partout en Europe, avec un glissement important de recettes publicitaires des médias traditionnels (télévision, radio, presse écrite) vers internet.

© JONAS HAMERS – BELGA

"Le web a détourné les annonceurs des médias traditionnels. Il y a un problème de viabilité du modèle économique de ces entreprises", explique Marco Viola, chercheur au Centre pour le pluralisme et la liberté des médias (CMPF) à Florence et co-auteur du rapport. "Du coup, les conditions de travail dans ces médias se sont par endroits détériorées. Or la précarité d’emploi peut avoir un impact sur l’indépendance des journalistes."

Dit autrement, il est plus difficile de résister aux pressions et de dénoncer des ingérences dans la ligne éditoriale, quand on a une situation professionnelle précaire.

Or un certain nombre de ces médias ont dû trouver de nouvelles sources de financement, parfois tissé des partenariats commerciaux par exemple, et cela augmente le risque d’interférences dans les décisions éditoriales.

Des ingérences commerciales ou politiques dans l’éditorial

La situation est particulièrement préoccupante dans onze états de l’Union (La Bulgarie, la Croatie, la République Tchèque, la Hongrie, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie, la Lettonie, la Finlande, Chypre et Malte), classés à "risque élevé" d’ingérence sur le contenu éditorial, de la part de patrons de médias ou d’intérêts commerciaux.

Un constat en résonance singulière avec l’actualité en Hongrie : plus de 60 journalistes de la rédaction d’Index.hu ont annoncé leur démission ce vendredi. C’est le site d’information le plus lu de Hongrie, une rare voix critique du gouvernement de Victor Orban dans un paysage médiatique de moins en moins diversifié. Ils entendaient ainsi protester contre le limogeage de leur rédacteur en chef, sur pression, disent-ils, de proches du gouvernement.

Le pouvoir des plateformes

Epinglé également, le pouvoir interpellant qu’ont les "plateformes digitales" comme Facebook ou Twitter sur les contenus publiés sur internet.

"D’un côté, elles ont la possibilité d’intervenir contre les discours de haine, donc ce pourrait être une protection possible pour les journalistes, mais d’un autre, elles suppriment des contenus dans une opacité qui fait craindre pour la liberté d’expression", ajoute Marco Viola. "C’est une question qui se pose à tous les gouvernements en Europe et ailleurs dans le monde : comment trouver un équilibre protection/surveillance sur ces plateformes, la possibilité d’instaurer un environnement libre pour l’expression de l’opinion."

Le monitoring relève une faiblesse générale de la réaction aux contenus haineux sur internet dans la plupart des États membres de l’Union européenne.

Les bulletins des Etats

Au-delà de ces lames de fond qui traversent l’Union européenne, le tableau varie d’un état à l’autre.

Le monitoring publie, pour chaque Etat, une fiche d’état des lieux.

Le "bulletin" pour la Belgique est dit "relativement positif" mais améliorable sur une série de points, notamment la présence des minorités et des femmes dans les médias.

Sans surprise, la Hongrie est en tête des Etats où les menaces sur la presse sont les plus préoccupantes.

"S’il fallait résumer nos conclusions en une phrase" dit le chercheur Marco Viola, "ce serait : il y a soit un statu quo soit une intensification des menaces sur les médias d’information. Il faut maintenir la vigilance."

 


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