Deux coopératives d’intermittents radiées par Pôle emploi : en péril, le système solidaire se défend

En radiant la Nouvelle Aventure et SmartFR, Pôle emploi menace quelques quatre mille artistes et techniciens du spectacle et de l’audiovisuel. Lettre ouverte, pétition, témoignages sur les réseaux sociaux… avant même que l’affaire soit portée devant un tribunal administratif, la contre-offensive s’organise.

Par Etienne Labrunie

Publié le 08 octobre 2020 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h13

«Nous sommes sous le choc. Désormais, notre sort se jouera dans les hautes sphères. » Emily Lecourtois, responsable des affaires publiques de La Nouvelle Aventure et de SmartFR, deux coopératives de production de spectacles vivants et de projets audiovisuels, ne décolère pas. Depuis le 1er octobre, les deux coopératives ont en effet officiellement été radiées par Pôle emploi services. Cette rentrée, déjà plombée par la crise sanitaire et ses conséquences, s’est donc doublée d’une très mauvaise nouvelle pour ces sociétés promouvant un système mutualiste destiné à aider les artistes et les techniciens à gérer leur statut et leur activité.

Une sanction lourde de conséquences puisqu’elle engage aussi le sort d’environ quatre mille intermittents artistes ou techniciens affiliés. Tous ont d’ailleurs reçu simultanément le même courrier recommandé le 31 août les informant de ces radiations. « Cette décision fait suite aux contrôles réalisés en 2019 par le service prévention et lutte contre la fraude, au cours desquels on a constaté que cette société ne produisait pas de spectacles et donc ne fournissait pas de travail aux intermittents », justifie Pôle emploi, contacté par Télérama.

SmartFR et La Nouvelle Aventure dénoncent une procédure violente s’appuyant « sur des arguments fallacieux » et s’étonne que « Pôle emploi puisse avoir droit de vie ou de mort sur une entreprise ». Mais au-delà de ces deux cas, cette décision de Pôle emploi soulève surtout une question de fond plus large : celle de la reconnaissance de ces nouvelles coopératives solidaires et de leur fonctionnement original. Dans ces structures, artistes et techniciens adhérents sont à la fois salariés et associés. Ils conservent ainsi leur autonomie tout en bénéficiant d’une série de services mutualisés (protection sociale, comptabilité, devis, gestion de la paie, assistance juridique, assurances pour le matériel…) et d’un accès à l’assurance chômage. Un modèle qui rencontre un succès croissant.

“C’est notre modèle économique
qu’on veut remettre en cause.” Emily Lecourtois

À son origine, on trouve l’entreprise Smart, créée il y a vingt-deux ans en Belgique, et qui fédère aujourd’hui trente et un mille huit cents sociétaires répartis dans huit pays, dont la France, où elle est installée dans quatorze villes de France. Une initiative appuyée par les fédérations nationale de l’économie sociale et solidaire. « Je crois surtout qu’on ne rentre pas dans la case administrative de Pôle emploi, résume Emily Lecourtois, et c’est notre modèle économique qu’on veut remettre en cause. ».

Une bataille idéologique ? L’agence publique s’en défend : « On a juste constaté que n’étant ni organisateur ni producteur, ces sociétés ne fournissaient pas de travail aux intermittents qui, par ailleurs, font appel à leurs services pour la gestion administrative, ce qui revient à du portage salarial et n’est pas admis dans le domaine du spectacle. » « Ils confondent portage et partage », rétorque Emily Lecourtois. Ce dialogue de sourds devrait maintenant se poursuivre devant un tribunal administratif, Smart rappelant qu’elle détient une licence d’entrepreneur de spectacle. « On va faire valoir notre bon droit », dit-on chez Smart qui, déjà en 2013, avait dû en passer par la case justice pour faire reconnaître ses statuts. « Une société citée en modèle en Belgique et radiée de l’autre côté de la frontière », souffle dépitée Emily Lecourtois.

En attendant, la mobilisation s’organise. Une lettre ouverte signée de personnalités de la culture, de politiques, économistes ou sociologues a été adressée à Élisabeth Borne, ministre du Travail, Roselyne Bachelot pour la Culture et Olivia Grégoire, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable. Une pétition circule et sur les réseaux sociaux, derrière le hastag #touchepasàmascoop, les témoignages et soutiens se succèdent. À commencer par ceux, nombreux, d’intermittents adhérents défendant ce modèle coopératif et solidaire qui, dans cette période de crise sanitaire, a permis aux artistes et techniciens dont les spectacles ont été annulés de bénéficier de compensations salariales.

Ce modèle récent n’est sans doute pas parfait mais il est incontestablement innovant. Son avenir en France passe sans doute par la manière dont ce litige sera résolu. L’affaire est donc très sérieuse. Les « hautes sphères » en ont peut-être pris conscience. Une réunion interministérielle s’est en effet tenue le 1er octobre au soir au ministère du Travail en présence de l’avocat de Smart. L’idée d’un moratoire concernant la décision de Pôle emploi service a été avancée, sans plus détail. À suivre donc.

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